jeudi 13 octobre 2005

Asiles de fous, Régis Jauffret, Paris, 13 octobre 2005

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Je ne me souvenais plus en commençant ce livre pourquoi je l’avais acheté. Sans doute avais-je dû lire une critique enthousiaste au moment de la rentrée littéraire, prétendant qu’on avait rarement analysée une rupture avec une telle finesse. Sans doute est-ce la curiosité de me souvenir de la raison de l’achat qui m’a fait en commencer la lecture. Quant à ce qui me l’a fait finir, je mets ça sur le compte de ma ramboïtude (il faut finir la mission) et sur les amusantes digressions de quelques lignes qui rythment cet insignifiant récit sur le modèle suivant : « la famille, porcherie ancestrale, et aujourd’hui entreprise de salaison ultramoderne, à la chaîne du froid jamais interrompue, jambon de père, tranché, daté, sous blister, tripes de maman, en bocaux, en barquettes, avec les produits frais à côté des yaourts, et moi le fils comme du gras arraché, en rade sur le bord de l’assiette, relégué dans la boite à ordures, abjecte villégiature auprès des kleenex, des trognons, des coquilles d’œufs de poules élevées en batterie, et consommés la veille avec du riz sauvage, multicolore, scintillant comme les pensionnaires des joailliers étendus dans leurs écrins, rêveurs, perdus dans un sommeil profond, mélancolique, pareils à ces mômes allongés dans les dortoirs dévorés du regard par des pions concupiscents comme ces clientes mûres, en arrêt devant les vitrines de la place Vendôme, imaginant le plaisir d’enfiler cette bague au solitaire rosé comme un champ de neige au soleil levant, ou de se parer de cette rivière de diamants bleus comme l’eau du bain dans lequel elles passent des après-midi entiers à feuilleter des magazines de décoration, ou à buller comme des carpes en buvant du café glacé et en fumant des joints mal roulés par leur bonne janséniste qui les dénonce en vain chaque jour au planton du commissariat de la rue Poncelet. »

Ce genre de phrase savoureuse ne masque pas le vide du propos, l’histoire de Damien, qui envoie son père signifier à sa petite amie Gisèle qu’il ne reviendra plus à l’appartement commun, cette dernière subissant en prime les sentences méchantes et rébarbatives de la maman, Solange. Ce maigre canevas est censé illustrer la thèse de l’auteur, selon laquelle toutes les familles sont des asiles de fous dont on ne peut se sauver qu’en coupant les ponts, pour échapper à l’amour obligatoire et impossible. La divagation du propos cherche à rendre la folie, de même que les changements de locuteur sans préavis, les quatre protagonistes se relayant pour exposer leur vision des scènes. Mais tout ça ne tient pas debout, ne prend pas corps, et cette folie fait finalement bien peu d’effets.

Une dernière citation pour la route : « Je ne lui en veux pas d’être un mec, on n’en veut pas aux ciels gris. »