mardi 29 juin 2004

La banque S., mon aventure professionnelle vécue au sein de cet établissement durant près de 30 ans, Anonyme, Paris, juin 2004

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Je m’aperçois que j’ai interrompu mes travaux d’écriture après la lecture de ce petit ouvrage de mon grand-père. Je ne savais pas si je devais écrire là-dessus, j’ai pas envie de le défoncer, c’est mon grand-père quand même et en bien des points il est cool. Mais ce petit fascicule n’en reste pas moins une aberration pathétique.

Que mon grand-père occupe ses vieux jours à compiler et rafraîchir les souvenirs de son parcours professionnel, c’est une chose, mais pourquoi en publier le résultat insignifiant et lui donner la forme d’un livre. C’est triste à plusieurs égards : manque de lucidité de l’auteur, faiblesse de son entourage (moi compris) qui l’a beaucoup poussé dans cette tâche comme une vieille sénile en maison de retraite à laquelle on fait enchaîner les napperons, et, plus douloureux que le reste, mise en avant du côté suffisant et médiocre de mon grand-père. Comme toujours, ce qui nous irrite chez les autres, et chez les gens qu’on lit en particulier, est bien souvent qu’il nous confronte à ce que l’on a en soi et refuse de voir. En l’espèce, avec ce « livre », la filiation décuple l’effet miroir.

Ce n’est pas tant le parcours de Jacques V. qui pose problème, je suis sûr qu’on aurait pu en faire un chef d’œuvre littéraire et en tout cas il me semble respectable pour le peu qu’on en apprend, l’horreur c’est la médiocrité du rapport. L’auteur se concentre sur la particularité prégnante selon lui de la banque S., qui est d’être une entreprise franco-italienne dont la bi-nationalité a pu se maintenir près d’un siècle, alors même que par moment ses deux mères-patries étaient en guerre. Sorti du lectorat de Valeurs actuelles ou des retraités octogénaires qui cotisent au MEDEF par sentimentalisme, difficile d’émouvoir les foules avec un sujet pareil. En gros c’est l’historique des AG du conseil d’administration de la banque S.… Mon grand-père va crever, il lui reste un message à délivrer à l’humanité, et à ses enfants et petits-enfants en particulier, et voilà le point important auquel il consacre ses dernières énergies. Enfin non si ça l’amuse parfait, mais qu’il ne nous l’inflige pas comme testament. Pour ça il aurait fallu qu’il s’expose au moins un peu.

Bref c’est d’une chiantise absolue (et recherchée ?) et je me le suis quand même coltiné in extenso pour pouvoir en discuter avec lui. Là comme ça je ne vois pas bien ce que je vais pouvoir lui en dire. Peut-être simplement j’essaierai de comprendre pourquoi ça lui tenait à cœur de nous faire chier avec ça.

Zombies, Brett Easton Ellis, Portugal, fin juin 2004

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Dernier ouvrage de Brett Easton Ellis publié en français que je n’avais pas lu, prêté à G. qui m’en avait dit le plus grand mal et… heureuse surprise. Toujours l’artifice habituel de cet écrivain, qui lui permet d’allier légèreté et dramaturgie : des personnages absolument creux, littéralement vides, qui ne se distinguent les uns des autres que par certains tics consuméristes obsessionnels. La peinture d’une société de consommation dégénérée au dernier stade, dans laquelle il est hors de question d’envisager de survivre sans Wayfarer. Il en résulte une frivolité charmante et le désespoir le plus noir. Et comme toujours répétition du même motif à l’infini , avec absorption régulière d’anti-dépresseur et de stimulants divers, pour l’ambiance claustrophobique… Quand on y réfléchit à froid, difficile de comprendre le plaisir morbide que l’on ressent à la lecture d’Ellis.

Zombies présente tout de même la particularité d’être un recueil de nouvelles, ce qui fait que les personnages sont plus facilement identifiables que d’habitude, et il y a des liens, qui restent flous, entre les personnages des différentes nouvelles, si bien que l’on a finalement l’impression que ces histoires successives ont moins ni queue ni tête que dans Moins que zéro ou Les lois de l’attraction. Pour ce qui est des liaisons entre les différentes nouvelles on dirait qu’Ellis s’est inspiré de Manhattan Transfer, et en tout cas c’est très amusant. Au final ça donne du Brett Easton Ellis light, mais réussi : c’est plus léger et plus ludique, mais la saveur et le goût âcre sont bien là.

samedi 5 juin 2004

Hell, Lolita Pille, Paris, 5 juin 2004

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Voilà une petite qui a bien lu Brett Easton Ellis. Elle en donne une version parisienne, moins hallucinée et donnant plus de prises au lecteur. Cependant si elle était capable d’en faire 600 pages on pourrait crier au génie (les 220 pages de Hell se lisent en 4 heures). Et si vraiment elle a écrit ça à 17 ans c’est très impressionnant. Elle écrit très bien, on sent la rage, le ton est juste, l’auteure est renseignée, crédible, très peu de la puérilité qu’on pourrait attendre de n’importe qui à 17 ans.

D’ailleurs Hell est majeure, 18 ou 20 ans ; elle est bien sûr extrêmement belle, extrêmement riche, extrêmement intelligente et extrêmement dépravée. Elle habite dans le 16ème, ne fout plus rien depuis son bac à part s’enfiler des montagnes de coke, claquer des milliards de tunes en restos et boites (Bains, Cabaret, Queen) et se lever à 17h. Elle traîne avec ses copines et consomme des mecs, jusqu’au jour ou Andrea l’embarque dans sa Porsche. Un truc que Brett Easton Ellis ne dirait jamais : ces deux-là sont vraiment amoureux l’un de l’autre et le livre est une histoire d’amour. Amoureux, ils abandonnent la coke et les boites pendant six mois, puis l’ennui les gagne, alors ils se remettent à la coke et aux boites encore plus fort, se perdent en route, se séparent, retournent chacun de leur côté à leurs vies vaines. Au moment où Hell et Andrea se rendent compte qu’au final ils préfèrent quand même se faire chier ensemble, Andrea se crashe en Porsche à la Concorde. Alors Hell n’a plus qu’à retourner se taper plein de Coke et plein de boites en réalisant qu’avant elle était pas encore complètement désespérée et que maintenant ça y est. Cool… La dernière scène, c’est Hell qui remet illico dans un taxi un quidam littéralement ramassé au Queen et ramené chez elle, dont elle a obtenu un enculage dans la bibliothèque de papa.

Une bonne petite lecture divertissante en somme ; les méchancetés infligées par Hell et Andrea à tout ce qui n’est pas Hell et Andrea sont particulièrement réussies. Je me demande si la jeune Pille (pseudo en hommage à ses inspirateurs ?) a écrit d’autres choses depuis : si elle réussit la même légèreté et la même rage en plus dense, ça va cartonner… Enfin question référence culturelle, elle enfonce Adam Thirlwell très profond. Outre la Traviata racontée in extenso, elle cite Vivian la pretty woman : définitivement cool.