dimanche 30 mai 2004

Politique, Adam Thirlwell, Paris, 30 mai 2004

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Livre à la mode à la couverture attrayante, globalement médiocre, extrêmement mal écrit (ou mal traduit) sous une tentative d’audace formelle qui hormis certains dialogues se révèle essentiellement et rapidement pénible. Surtout c’est terriblement pédant et prétentieux. L’auteur prétend dérouter le lecteur par d’incessantes injonctions : vous pensez ça mais en fait non, mais finalement si, j’aime untel, j’aime pas telle action, tel jugement, etc… de la provocation ratée. Quant à l’étalage de quelques pauvres références culturelles, c’est carrément misérable de convenu et de lourdeur alors que le concept est amusant : présenter une théorie personnelle à partir d’une anecdote culturelle et montrer comment elle éclaire l’histoire. Seulement ça demande un peu de brio et là à part en deux ou trois occasions, ça tombe complètement à plat. Provoquer en se montrant totalement immodeste, je trouve ça plutôt sympathique au départ, mais quand l’auteur se révèle en carton, ça fait mal.

À part ça quelques scènes de cul sympathiques (le livre est l’histoire d’un ménage à trois) mais là non plus rien d’extraordinaire, loin de là. La meilleure scène du bouquin me semble être la page 277, où l’auteur annonce une scène de sexe, décrit ce qui traîne dans la tête de Moshe et Anjali abandonnés par Nana et conclut ainsi : « Mais pourquoi cela était-il une scène de sexe ? Parce que pendant que j’expliquais ce que Moshe et Anjali ressentaient, il se touchaient, en silence. »

Enfin, exemple de jugement moral lourdingue que l’auteur multiplie, Vaclav Havel s’est selon Thirlwell fait traité d’exhibitionniste moral par Milan Kundera en 1968, c’est le dernier étalage culturel du bouquin et il se termine ainsi : « J’aime Milan Kundera. Je l’aime beaucoup. » Décidément ce Kundera a tout pour déplaire.

mardi 11 mai 2004

Manhattan transfer, John Dos Passos, Paris, 11 mai 2004

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Clairement un chef d’œuvre, un truc dense, superbement écrit, composé de 1000 nouvelles enchaînées chronologiquement sur les trente premières années du 20ème siècle, où une quantité éblouissante de personnages se croisent et s’entremêlent dans Manhattan. Impossible à suivre complètement, sans queue ni tête, même si on devine intuitivement une construction superbe et machiavélique où chaque personne occupe une place et signifie quelque chose, des histoires, parfois quelques lignes, qui se suffisent à elles-mêmes tellement l’évocation est puissante.

Le tableau est sombre : tous sont maudits. D’Ellen, ou Elaine, ou Ellie, femme fatale dégoûtée d’elle-même et du venin qu’elle distille, à Jimmy Herf, superbe de gentillesse, de tendresse et d’incertitudes, qui ne sait pas ce qu’il cherche mais sent bien que ça lui échappe, ou James Merivale, pauvre fils à maman dépeint avec une subtilité touchante, ou encore Joe Harland, qui n’en finit pas de descendre mais reste beau sans être digne, et George Baldwin, avocat dépressif chronique mais conquérant, symbole de réussite sociale et de faillite personnelle, puis Stan Emery, miroir d’Ellen qui en sera irrémédiablement amoureuse et ancêtre de Dean Moriarty, et encore sans doute une centaine d’autres.

C’est la ville, ça grouille, c’est sale et chacun suit sa pente sans avoir le moyen de se soucier des autres mais tout en s’étonnant d’en être aussi bouleversé, comme Ellen quand elle sort du tailleur où Ana Cohen vient de se faire défigurer par brûlure : « Pourquoi suis-je si bouleversée ? se demanda t-elle. Juste la guigne de certaines personnes… Ça arrive tous les jours ces choses-là. ». Saturations d’odeurs enfin, qui sont autant de souvenirs : « Cornichons, piment, écorces de melon répandent en vrilles tordues et froides un parfum humide et poivré qui s’élève comme un jardin de primeurs, parmi les odeurs musquées de lits, et le vacarme rance de la rue pavée qui s’éveille. »