lundi 7 novembre 2005

Cantique de la racaille, Vincent Ravalec, Paris, 7 novembre 2005

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Le mariage réussi de Pennac et de Fante : prodigalité du folklore parisien et truculence des quartiers populaires à la Pennac, rigueur narrative et réalité des personnage à la Fante. L’ascension et la chute sur une année de Gaston, petite frappe vivant de vols et d’escroqueries diverses, qui prend un nouveau départ dans la vie le jour où il prend Marie-Pierre en stop sur le chemin de la Normandie.

Elle a 16 ans, encore mal dégrossie du sous-prolétariat du Havre dont elle veut s’échapper, elle est trop belle. Gaston a repéré le joyau et en tombe sévèrement amoureux. Il lui sort le grand jeu au Grand hôtel de Cabourg et la ramène avec lui dans son squat du faubourg Saint-Denis au dessus du bar Maurice (ça aurait pu être le Mauri7 bien que ce dernier soit tenu par des albanais mais en fait c’est plutôt vers la Gare du nord). Tant que Marie-Pierre est avec lui tout s’enchaîne parfaitement pour Gaston, qui se rêve en chef d’entreprise et compte recadrer peu à peu ses activités vers le secteur légal. Il organise un réseau de distribution pour écouler le contenu hifi de containers détournés par un flic ripoux du Havre et montre un véritable talent à la tâche. Il y a aussi quelques à-côtés, par exemple le vol d’un camion de viande à Rungis, parfaitement organisé et réussi.

La chute qu’on pressentait inévitable surviendra petit à petit : Gaston a du mal à gérer la pression, ses nouveaux amis respectables l’entraînent à partouzer au Cap d’Agde avec Marie-Pierre, il est rattrapé par des malfrats pour d’anciennes affaires et finalement les flics lui tombent dessus après que le grossiste du Havre s’est fait alpagué. Pendant la garde à vue les flics lui lisent le journal de Marie-Pierre, qui s’est fait attrapée à tout bout de champ par les relations de Gaston ; il craque et balance quelques affaires, du coup on le libère sous contrôle judiciaire et il atterrit finalement en gardien de parc. Touchant le fond il va rechercher Marie-Pierre mais il a perdu la main, il ne fait plus de thune et ils se retrouvent à faire des partouzes payés par une ancienne relation bien libidineuse. Supportant mal l’avilissement de Marie-Pierre recherché par ce sponsor, Gaston le bute, est arrêté trois jours après et rentre à Fleury, le cœur enfin en paix.

A mi-chemin entre la comptine pour enfant et le roman noir, âpre et doux, le plaisir de la lecture est fort et continu, porté par un style faussement négligé et virtuose (« Judas n’avait vendu que le Christ mec, c’est la femme que t’aimes ») et des personnages simples mais non dénués d’épaisseur. L’empathie qu’on éprouve pour Gaston est semblable à celle que provoque Bandini : le gars est loin d’être irréprochable mais il est cool, digne et fier. Bref c’est de la bonne.

mardi 1 novembre 2005

L’horreur économique, Viviane Forrester, Paris, 1er novembre 2005

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Parcouru dans un RER, ce ridicule essai m’a été remis par mon grand-père (en me précisant que c’était lamentable) lors d’une fouille archéologique dans ses archives, et je comprends que ça dépare en effet toute bibliothèque, même bien caché tout au fond, et qu’on se refile la patate chaude. Je vais me charger moi-même de jeter cet objet à la poubelle, même s’il a l’apparence d’un livre.

Le rageant est que cette connasse a réussi son coup : on a parlé de son affligeante protestation, qui s’est beaucoup vendue. L’autre exploit est qu’elle réussit à tirer sur 200 pages fort mal écrites une idée unique et pauvre : on fait croire aux chômeurs qu’ils devraient travailler, en les culpabilisant au passage, alors qu’il n’y aura tout simplement plus jamais de travail pour eux et qu’il faut dépasser la notion de travail. En gros il faudrait que certains inutiles s’accommodent de leur inutilité. Et vas-y que je te sors les violons sur le sort fait aux pauvres et aux exclus victimes de la manigance des profiteurs. C’est indigne à gerber, sur le fond comme sur la forme, et ça ne mérite pas une ligne de plus.

Journal, Jules Renard, Paris, 1er novembre 2005

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Petite lecture anodine, ces extraits du journal que Jules Renard a tenu de 1887 à 1910, réunis par un certain Claude Barbousse, sont finalement sympathiques. Assez peu de traits d’esprit saillants (on se demande où Bouvard va pêcher ses citations) et un personnage finalement assez triste, parfois médiocre, dont la plus grande réussite semble avoir été son couple et son amour jamais démenti pour Marinette. Sa vie partagée entre six mois parisiens rue du Rocher à fréquenter le milieu littéraire et théâtral, et six mois à Chitry, village de la Nièvre dont son père était maire et dont il deviendra conseiller municipal, laisse pas mal de place au spleen et à l’ennui. Tourné de façon presque avant-gardiste vers l’introspection et le retour sur une enfance mal vécue (dont il tirera Poil de carotte en rebaptisant ses parents les Lepic), Renard se regarde le nombril sans retenue, mais après tout c’est bien l’objet d’un journal.

Qu’est-ce qu’on en retient ? Pas grand chose, passées la description amusante de la vie de l’époque et peut-être comme le note Barbousse dans son introduction les contradictions du bonhomme, citadin mais paysan, socialiste pacifiste mais pas totalement net sur les juifs, passablement conservateur et méprisant le suffrage universel, rêvant de frasques sexuels mais menant une vie de famille rangée… Cette personnalité contradictoire débouche sur un certain mal être, que la littérature permet de rendre pittoresque et suffisamment agréable pour valoir d’être vécu.