dimanche 7 septembre 2008

Dernier inventaire avant liquidation, Frédéric Beigbeder, Paris, le 7 septembre 2008

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Un producteur de télévision génial a eu l’idée de sonder 6.000 français à l’été 1999 pour leur demander d’établir, parmi une liste de 200 suggestions, leur top 50 des livres du 20ème siècle. Pour parachever cet audacieux concept, c’est à Frédéric Beigbeder qu’on a demandé de commenter chacun des 50 lauréats pour autant d’émissions diffusées sur Paris Première au tournant du siècle (et du millénaire mais élargir trop le concours aurait probablement angoissé le téléspectateur et moins collé au positionnement urbain chic de Paris Première à l’époque). Beigbeder, qui ne connaît pas la honte ou s’en délecte, n’a évidemment pas hésité à intégrer cette récréation télévisée dans son œuvre officielle. A quand la publication en grande pompe de l’anthologie de ses chroniques dans Voici (souvent excellentes au demeurant) ?

L’amusant, outre le style primesautier et égotique de FB, est qu’une bonne moitié des titres entrant dans le top 50 n’ont rien à y foutre, ce que Beigbeder relève lorsque le cas se présente avec franchise et mansuétude. C’est un peu comme pour les enquêtes sur la vie sexuelle des français : même lorsque les réponses sont anonymes on coche les cases en espérant ne pas avoir, fut-ce à ses propres yeux, le rôle du blaireau, ce qui débouche sur un énorme blaire statistique. Le hussard sur le toit ou Le nom de la rose figurent ainsi autour de la 20ème place, l’imbitable être et le néant sartrien est en 13ème position. Beigbeder va jusqu’à attribuer à l’attachement populaire pour l’adjectif kafkaïen le 5ème rang obtenu par Le procès. En attendant le classement recèle seulement deux livres parus après 68 (La vie mode d’emploi de Pérec en 78 et Le nom de la rose en 81) et c’est évidemment un exercice imbécile.

Restent le plaisir de la conversation beigbederienne, horripilant à souhait à ramener sa désarmante petite fraise à tout bout de champ mais mettant dans le mille régulièrement (« ouverture de parapluie » en préambule, le fielleux Marc Lambron, …), et la décision à peu près ferme de me lancer enfin dans La recherche du temps perdu cet hiver. Parmi les 49 autres incontournables du siècle, mis à part la vingtaine que j’ai déjà lus, cet inventaire suscite peu d’envies alors que c’était l’objectif déclaré du Beig. Ne s’agit-il pas plutôt d’une excuse pour pouvoir parler littérature à partir de livres imposés, donc en se prémunissant du risque d’ennui inhérent au concours d’éloges (auquel Djian échappe cependant dans ses Ardoises) ?

vendredi 5 septembre 2008

Le Dahlia noir, James Ellroy, train La Rochelle – Paris, 5 septembre 2008

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Captivantes et bouleversantes de la première ligne de la préface (« vivante, je ne l’ai jamais connue, des choses de sa vie je n’ai rien partagé ») à la dernière phrase de la postface, ajoutée en 2006 à l’occasion de l’adaptation cinématographique de De Palma, ce sont vraiment comme l’annonce la dédicace à sa mère, des « pages d’adieu aux lettres de sang ».

L’enquête de l’agent du LAPD Bucky Bleichert sur le meurtre de Betty Short à Los Angeles en janvier 47 transfigure celle de James Ellroy sur le viol et le meurtre non élucidés de sa mère Jean Hilliker Ellroy, à LA en 58, qu’Ellroy annonce n’avoir pas pu attaquer de front à cause de ses pulsions incestueuses. Il avait 10 ans en 1958 et était troublé par la sensualité de sa mère divorcée, qu’il avait surpris au lit avec d’autres hommes et dont la discipline stricte contrastait avec la permissivité paternelle pour lui donner le rôle de méchant / désiré du couple parental.

L’histoire commence avec la formation de la paire Bucky Bleichert / Lee Blanchard, deux policiers anciens boxeurs que des huiles ont l’idée de réunir dans un combat pour faire remonter la cote du LAPD et obtenir une hausse du budget lors d’un référendum local qui a lieu juste après. Le retentissement populaire du combat permet le succès du référendum et malgré sa défaite, Bucky obtient une promotion inespérée : d’îlotier il devient inspecteur en tandem avec Blanchard. Les deux collègues deviennent instantanément les meilleurs amis et forment avec Kay, la compagne platonique de Blanchard, une triade inséparable qui nage dans le bonheur. C’est alors que survient le meurtre de Betty Short, 22 ans, retrouvée coupée en deux, les seins charcutés et un sourire élargi au rasoir, sur un terrain vague à l’angle de la 39ème et Norton.

Suit alors le récit circonstancié de deux ans et demi d’une enquête très politique (le vice procureur Loew veut se servir de l’affaire comme tremplin pour sa candidature républicaine aux prochaines élections ; au départ plus de 100 hommes sont mobilisés sur l’affaire) et aux multiples chausses trappes, qui provoqueront notamment la fuite au Mexique de Lee et son assassinat, suivi du mariage de Kay et Bucky, puis la radiation de Bucky du LAPD, ce qui ne l’empêche pas de remonter la piste de la famille Sprague qui a causé la perte de Betty Short.

L’intrigue elle-même est sans doute un peu alambiquée, peut-être pas pour ce qui concerne Madeleine / Emett Sprague mais plutôt pour ce qui relève de Ramona Sprague, qui s’avère finalement la meurtrière dans un énième retournement dont on peut se demander s’il était bien nécessaire (en même temps, peut-être le fait qu’une incarnation de mère soit à son tour bourreau est-il très signifiant venant d’Ellroy ?). Mais l’enquête dans son ensemble est fascinante dans sa densité et la multiplicité de ses ressorts : politique, psychologie, choix de carrière, affinités et détestations entre les enquêteurs, jeux de séduction et d'intimidation avec les témoins et les suspects, effets médiatiques avec toute une floppée de de tarés qui se dénoncent en espérant un instant de célébrité (et on est qu’en 1947 !), relation amoureuse enfin et surtout puisque c’est avant tout l’histoire de la rencontre posthume de Bucky et Betty. L’enquête révèle rapidement une coureuse à moitié cinglée, qui tapinait occasionnellement en attendant son heure de gloire en tant qu’actrice à Hollywood. Mais pour Bucky c’est surtout une fille bonne et naïve qui cherchait l’amour avec obstination.

D’une écriture magnifique d’âpreté, extraordinairement traduite avec beaucoup d’argot innovant mais la plupart du temps compréhensible (« sans charre », michés et talbins sont légions), la narration est cinématographique (beaucoup de scènes d’action, de pifs et de pafs) et regorge de fesses et de violence, avec des passages à la limite du soutenable sur Betty Short mais aussi sur d’autres épisodes du quotidien sordide des flics du LAPD.

La morale de l’histoire semble tenir pour Ellroy dans le « Cherchez la femme » de Blanchard à Bleichert mais je ne suis pas sûr de bien saisir. Peut-être en parlerai-je à E. qui m’a offert ce livre qui semble compter beaucoup à ses yeux. Enfin l’enthousiasme d’Ellroy dans la postface pour l’adaptation cinématographique globalement ratée (même si c’était une gageure et si certains passages sont magnifiques) réveille une accusation de putasserie, peut-être en lien avec le caractère thérapeutique du livre, ou peut-être simplement mercantile : on est clairement dans l’autopromotion, un peu semble t-il comme à la sortie du livre, où Ellroy confesse tout seul qu’il a tout axé sur le parallèle Betty Short / Jean Ellroy. L’auteur comme le lecteur se retrouvent sur une corde raide fascinante, à fictionner sur du matériel humain à ce point intime et tragique, et à utiliser sans retenue ce ressort pour accroître la tension dramatique.

lundi 1 septembre 2008

Le charme des liaisons, Madeleine Chapsal, Niort, le 1er septembre 2008

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Convié il y a quelques années à une fête chez une collègue de travail, j’étais tombé en admiration devant son imposante bibliothèque uniquement composée d’Arlequins. Je lui en avais emprunté un, pour voir, une histoire de châtelaine post adolescente aux amours contrariés qui m’avait si bien pris que je l’avais dévoré en une nuit à peu prés blanche. L’épaisseur psychologique des personnages notamment m’avait surpris et impressionné. Ce nouvel emprunt à la même bibliothèque de référence fait suite à quelques boutades fines sur son titre équivoque. Le bouquin traînait en effet nonchalamment abandonné depuis quelques jours sur le bureau de cette femme mariée.

Bien qu’elle en vantait les mérites en connaisseuse, il est tout à fait désolant. Trois couples bourgeois aménagent comme ils peuvent des mariages qui s’étiolent après 10 à 20 ans de vie commune : Catherine est l’héroïne principale, abandonnée sans une explication par son mari Jean, qui revient deux ans après lui apprendre qu’il la trompait avec Béatrice, une de ses bonnes amies un peu mangeuse d’hommes et négligée par son mari Maurice, tout comme Hélène la troisième copine qui s’est mariée amoureuse mais ne reconnaît plus son Henri, accaparé par sa carrière. Jean revient, donc, mais entre temps Catherine s’est acoquinée de Maxence, un bellâtre ténébreux qui rend ses copines jalouses et déclame à tout bout de champ des tirades pompeuses et dramatiques sur le sombre destin de l’humanité et de la planète terre. Après quelques tergiversations et un petit coup de rappel révélateur, Catherine dégage son mari inconséquent et s’éloigne au bras de Maxence pour une relation enfin mature.

Le ton est globalement niais, les personnages caricaturaux et plats (au point de confondre régulièrement les couples Henri/Hélène et Maurice/Béatrice, à chaque fois des femmes oisives délaissées pour la carrière de Monsieur, d’ailleurs pas une femme ne travaille dans ce brûlot progressiste) et le récit mal ficelé : des incohérences, des redites, des erreurs techniques affligeantes… Mamie Chapsal s’essaie à l’amour au temps des téléphones portables et d’internet mais on sent que c’est de la vieille école : pour elle apparemment SMS et texto ne sont pas la même chose et personne ne l’a informé que seuls quelques dinosaures doivent encore se débrouiller sans l’affichage du numéro appelant ; cela dit on comprend là à quel point toutes ces facilités techniques empiètent sur le mystère de la romance (dans son acception chapsalienne tout spécialement, sinon c’est juste un charme différent et pas mal de complications supplémentaires envisageables…).

L’amusant est que j’ai entamé ce récit sur le chemin des Portes-en-Ré où se déroule l’intrigue. Même si le nom du village Rétais n’est pas cité, il m’a semblé reconnaître la Bazenne (et ses bourgeoises). L’avantage de cette perte de temps est qu’on en perd peu. Je l’ai fini et résumé avant d’arriver.