lundi 13 septembre 2004

Les mangeurs d’étoiles, Romain Gary, Paris, septembre 2004

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Une lecture difficile, sur les conseils de Jocelyn, commencé plusieurs fois il y a un an peut-être, et constamment abandonné depuis. Le début du livre est particulièrement ingrat : 100 pages de présentation des différents invités de José Almayo, dictateur d’un pays d’Amérique du sud non précisé mais qui pourrait être le Salvador ou le Nicaragua. Ça décolle une première fois quand la maîtresse américaine du dictateur rejoint les invités mais 30 pages plus tard José Almayo fait fusiller tout le monde. Là on se dit « merci merci c’était bien la peine de se faire chier » mais en fait c’est là que ça démarre : l’histoire de José Almayo, un indien qui voulait devenir torero.

S’il les fait fusiller, c’est pour, prétend-il, provoquer une intervention de l’armée américaine réprimant la révolution étudiante qui prétend le chasser : sa propre mère et sa petite amie américaine figurant parmi les fusillés, personne ne pourra le soupçonner d’avoir donné l’ordre… Mais derrière cet argument logique et machiavélique se cache un inavouable pacte avec le diable. José Almayo a la foi : en s’appliquant à avoir une conduite particulièrement mauvaise, il s’attire la protection d’El Senor. Il a bien retenu le message des jésuites : ce monde est corrompu et favorise le règne des méchants. Alors il est très méchant et parvient ainsi à se hisser au pouvoir et quand il le sent vaciller, il est encore plus méchant. Pour se rassurer, il lui faut des preuves que le surnaturel existe, aussi est-il friand de saltimbanques et magiciens, qui parviennent à conforter sa naïveté et sa superstition quelques instants, même si les ficelles finissent toujours par apparaître. Le hic, c’est sa petite amie américaine, qui est une sainte et le pousse à ne faire que des conneries (entendre : de bonnes actions) et il n’ose pas la buter de peur qu’elle aille directement au paradis et là intercède pour lui, ce qui jouerait en sa défaveur vis-à-vis d’El Senor.

C’est vraiment un bouquin cruel pour le genre humain, un ramassis de saltimbanques, essentiellement désireux de continuer à vivre dans l’illusion et la superstition, se raccrochant aux branches pour continuer à croire. Et le peuple n’aime que ceux qui sont vraiment méchants et méprisants avec lui : toujours l’obligation de faire rêver, interdiction de se mettre au niveau du commun.

Toute une galerie de personnages, chacun travaillé par sa propre obsession. Les différents délires obsessionnels (ex le hongrois qui peut jouer du violon miniature sur la tête pendant 18 heures…) laissent libre cours à l’humour d’exagération de l’auteur, plein de cruauté. La contrepartie de ce caractère obsessionnel est un style très répétitif à l’effet un peu hypnotique, voire un peu soporifique avec naturellement quand même (c’est Romain Gary) des phrases brillantissimes à intervalles réguliers. On s’endort souvent à la lecture, qu’on interrompt donc régulièrement, mais c’est un livre auquel on continue de penser lorsqu’on ne le lit pas. Parce qu’au-delà de la caricature, il y a du vrai, du paradoxal qui interroge, sur le beau gâchis que représente l’humanité.

Pour finir un petit exemple : Almayo et ses proches arrivent à fuir la capitale en prenant en otage la fille de l’ambassadeur espagnol, qui est une ibère magnifique de froideur et de fierté. Radetzky, un journaliste norvégien qui se fait passer pour un ancien nazi et a de ce fait gagné l’amitié d’Almayo (qui a une admiration sans borne pour Hitler), en tombe instantanément amoureux. José se fout de sa gueule : pourquoi il la viole pas ? Non seulement il ne la viole pas mais préfère même ne pas lui adresser la parole, se doutant qu’elle est insignifiante. Il préfère continuer à croire et à rêver.

samedi 4 septembre 2004

Poupées crevées, Martin Amis, Paris, 4 septembre 2004

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Les prémices du post punk littéraire, sorte d’équivalent livresque d’Orange mécanique, exploration du cul-de-sac de la libération hippie, sexuelle et droguée. C’est fort que le bouquin ait été écrit en 1975 parce que souvent on dirait un livre écrit cette année, un bilan avec le recul nécessaire de l’émancipation morale des années 60.

Le bouquin est la narration d’un week end chez Quentin Villiers au presbytère d’Appleseed, où il vit semble t-il depuis quelques mois avec Célia sa femme, son pote viril et violent Andy Adorno et sa copine Diana ; les autres invités permanents sont Giles, alcoolique et richissime, et Keith Whitehead, nabot ignoble, puant et malheureux. Pour le week end arrivent trois américains frappés, Maxwell, Roxeanne qui veut baiser tout ce qui bouge, et Skip, petit homme de main ramassé sur la route. Lucy, une pute, complète le tableau. Le personnage central, c’est Keith, qui a décidé de se suicider s’il ne parvient pas à baiser avant la fin du week end. Week end consacré à ingurgiter des quantités astronomiques d’alcool et de drogue, à parler quasi exclusivement de cul et, si ma mémoire est bonne, à ne pas baiser du tout en dépit de multiples tentatives.

En gros tout est mort, le cul est mort, tout ça c’est des poupées crevées. La plupart des personnages, flingués par leur enfance, pensent surtout à crever vite fait, et parfois se suicident. Il y a bien Quentin et Célia qui s’aiment pour de bon, et pour lesquels l’amour semble salvateur, mais Quentin trucide tout le monde à la fin en commençant par Célia, rattrapé par son double schizophrène Johnny pour avoir été trop aimable et délicieux sous le nom de Quentin.

Le style, tout en exagération et en outrance, est rigolo et les personnages sont caricaturaux mais attachants. Pour le reste, se reporter au dos de couverture qui offre un très bon résumé.