mardi 11 avril 2006

Magnus, Sylvie Germain, Paris, 11 avril 2006

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Offert par ma mère à Noël, comme m’y a fait repensé maintes fois le marque-page daté et dédicacé de son écriture si caractéristique, Magnus est l’histoire d’un enfant dépossédé de son identité par la perte de sa mère, ce qui n’est pas sans rappeler la petite bijou de Modiano. Comme dans Modiano d’ailleurs, on se situe ici à mi-chemin entre le roman et le conte, le merveilleux prenant peu à peu le pas sur le récit réaliste, voire historique, le tout dans un style lui-même à mi-chemin entre Paolo Coehlo et Pierre Michon, avec parfois quelques dérapages vers le roman de gare pour dames. Le récit est constitué de 30 « fragments » (d’une identité disloquée ?) chronologiques dont certains ne sont pas strictement à leur place, et d’un certain nombre d’interludes, pour les uns poétiques, pour d’autres historiques, pour d’autres encore composés des divagations de Magnus. Cette structure qui aère et pimente la lecture est une réussite.

L’histoire quant à elle est parfois prenante lorsqu’elle rebondit et que Magnus fait des rencontres. Un livre donné par May Gleanerstones au Mexique le plonge dans une crise de transe au cours de laquelle il se rend compte que ses nazis de parents morts peu après la guerre ne sont en fait que ses parents adoptifs. Il devient ensuite l’amant de May (qui vit en couple libre avec son mari homosexuel) et la suit dans son tourbillon d’activités aux Etats-Unis, jusqu’à ce qu’elle meurt subitement d’une maladie des poumons, comme son propre père. Franz-Georg, rebaptisé Adam après avoir été recueilli par son oncle Lothar à Londres autour de sa dixième année et devenu Magnus aux Etats-Unis, rentre alors à Londres et renoue avec son oncle et Peggy, une amie de sa cousine dont il était amoureux à l’adolescence et qui vient de perdre son mari tombé d’une falaise. Après quelques mois de fréquentation de Peggy à qui il donne des cours d’allemand, il lui ressort au cours d’un dîner l’intégralité de la déclaration de haine qu’elle avait déballé à son mari et à la suite de laquelle il s’était jeté de la falaise. Ce faisant il débloque l’énorme culpabilité de Peggy et ils peuvent enfin vivre un amour intense à Vienne où Peggy donne des cours d’anglais. Du moins jusqu’à ce que Magnus retombe sur son père adoptif pas mort du tout, l’identifiant grâce au Lied qu’il entonne dans un restaurant et qui charmait le jeune Franz-Georg. Menaçant de dévoiler ses activités nazies, Magnus est victime d’une tentative d’écrasement, dont Peggy le sauve en prenant sa place : il a laissé la haine le submerger, à cause de quoi il a perdu son amour. Pour digérer tout ça, il passe trois ans tout seul dans une ferme perdue en France, jusqu’à ce qu’un vieil ermite ami des abeilles vienne lui apprendre à écouter le bruit d’une feuille qui tombe, signe qu’il est prêt à repartir pour de nouvelles aventures, non racontées car non racontables, « précipité de vie dans le réel si condensé que tous les mots se brisent à son contact ».

Il y a de bonnes choses, de bonnes ébauches de personnages, une certaine richesse stylistique, des scènes et des anecdotes poignantes, certaines situations touchantes et à-propos, mais c’est régulièrement grotesque et finalement bien vain, avec un soupçon de bâclé. Le personnage de Magnus, mieux défini, plus ancré dans le réel, aurait pu être superbe, au lieu de quoi Sylvie Germain, une de plus, tourne autour d’une morale du rien et du dénuement toute creuse et s’en satisfait jusqu’à s’en contenter en guise de conclusion et d’ouverture. Finalement dans ce livre c’est le marque-page que je préfère.