samedi 15 décembre 2007

Lunar Park, Bret Easton Ellis, Paris, 15 décembre 2007

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Bret Easton Ellis raconte la tentative de Bret Easton Ellis, écrivain à succès bisexuel et omnidéfoncé, de fonder un foyer stable et apaisé, avec femme, enfants et chien. Pour nous expliquer comment il en est arrivé là, il retrace sommairement son parcours depuis la publication de son premier livre, alors qu’il était encore étudiant, et que l’on peut résumer à une énorme orgie ininterrompue de drogues, d’alcools et d’antidépresseurs. Après une énième overdose agrémentée d’un arrêt cardiaque, il saisit la proposition de Jayne de venir s’installer chez elle dans les Midlands. Jayne est une actrice très célèbre qui lui a fait un enfant dans le dos une douzaine d’années auparavant, enfant auquel Jayne a par inadvertance donné le prénom de Robert, celui du père honni d’Ellis, et dont Ellis ne s’est jamais préoccupé.

Le cœur de l’intrigue se déroule sur une semaine à partir de Halloween. Ellis est là depuis quelques mois et la situation est déjà difficile : il recommence à boire et à se droguer, fricote avec ses étudiantes, couche de moins en moins avec Jayne et ne parvient pas à établir le contact avec Robby. Il n’y a pas vraiment d’histoire, il s’agit plutôt d’un barrage en vrille progressif : la maison d’Elsinore lane se transforme progressivement en celle de Sherman Oaks où habitait la famille Ellis à L.A., un certain Clayton se balade dans la vieille Mercedes du père d’Ellis, un enquêteur du nom de Kimball apprend à Ellis qu’un type se prend pour Patrick Bateman et reproduit scrupuleusement les crimes d’American Psycho, en s’en prenant dans l’ordre aux homonymes adéquats, des mails étranges arrivent, le corbeau en peluche de Sarah, la jeune fille de Jayne, semble vivante et agressive, de jeunes garçons disparaissent, enlevés ou volontairement retirés du monde… Au bout du compte Ellis pète totalement son câble, Robby disparaît et Jayne demande le divorce, le tout sans que l’on suive très bien ce qui relève du réel et ce qui appartient à la vie psychique d’Ellis. A la fin rien n’est résolu, toutes les pistes sont laissées en suspens. On comprend simplement plus ou moins que Robby et Bret sont peut-être la même personne, et que les garçons disparaissent pour échapper aux pères ou pour éviter de les haïr ou de leur mentir. Bret se retrouve face à Robby dans la position de son père et ça porte tous ses démons à leur paroxysme (Ellis prétend d’ailleurs que Patrick Bateman est une représentation de son père). Bref la confusion psychologique d’Ellis est parfaitement rendue. Les imbrications entre réalité, délire, vantardises et confessions font l’originalité de ce livre, très plaisant à lire malgré son foisonnement, avec quelques scènes particulièrement délectables comme le dialogue avec Mc Inernay à la fête d’Halloween (ces deux-là sont copains comme cochons depuis bien longtemps, peut-être servent-ils de modèles pour Russell et Jeff dans 30 ans et des poussières ?), les scènes de chauffe avec Aimee Light, le dîner entre couples bourgeois. Les barrages en vrille sont parfois un peu longuets mais finalement assez variés. Ce qui est très fort c’est le sentiment de sincérité que donne Ellis, qui balance tout y compris (et surtout) ses contradictions et ses turpitudes, avec une dureté qui n’a pas dû être facile à recevoir par ses proches (sa mère et ses sœurs notamment, mais aussi des gens comme Jay Mc Inernay, balancé en sérieux repoudrage, son père quant à lui est heureusement mort depuis bien longtemps) comme si la notion d’intimité n’existait pas ou était de peu de prix si c’est pour écrire un beau passage. Et en même temps c’est tellement barré que c’est obligatoirement largement romancé, ce qui peut constituer une protection…Il y a enfin toute la virtuosité de la mise en abyme, particulièrement éclatante dans la première partie du livre, où l’auteur passe en revue tous les incipit de ses romans, en commençant par… Lunar Park. Bref un sacré ovni un peu inégal, du moins baissant un peu sur la fin, dont il sera intéressant de lire des commentaires ou des exégèses pour en approfondir les diverses significations.

dimanche 2 décembre 2007

Entre les murs, François Bégaudeau, Paris, 2 décembre 2007

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Un professeur de français d’un collège du 19ème arrondissement rend compte de son année scolaire 2003-2004. Chaque chapitre commence par un retour de vacances, avec retrouvaille de collègues débordant de fol enthousiasme. Une bonne part du compte-rendu concerne d’ailleurs la vie entre profs, qui a l’air presque plus pesante que les classes difficiles : gros déprimés à haut niveau de procrastination, victimes pathétiques s’étant manifestement trompé de vocation, et surtout médiocrité du niveau général. L’autre grande alternative aux scènes de classe, ce sont les voyages chez le principal qui se succèdent à un rythme élevé, une fois sur deux pour un certain Dico (ça existe comme prénom ?). L’essentiel de ce qui est rapporté reste les échanges en classe, la confrontation entre la langue grammaticalement correcte, le sens rigoureusement défini par le professeur, et la poésie approximative des jeunes analphabètes (au sens littéral pour certains).

L’ambiance est excellemment rendue, avec les rapports de force, l’hostilité de principe, les moments où perce le dialogue, les exaspérations, la foi du professeur et ses découragements, le ridicule des accoutrements adolescents tellement uniformes, et la surprise dans le regard extérieur. Bégaudeau évite la plupart du temps la bienpensance ou le ton moral ; il arrive à garder, tout comme son héros, un point de vue équilibré, ce qui est assez fort compte tenu du contexte. On ne peut s’empêcher de penser qu’il en rajoute un peu sur le concentré d’immigrés, surtout dans un collège du 19ème (parmi la multitude de prénoms cités, il doit y en avoir 5% qui ne soient ni maghrébin, subsaharien ou asiatique), mais c’est sans doute plus pour mettre en scène le décalage langagier, véritable objet du récit, que par volonté de porter un message quelconque. On reste dans l’ordre du constat fasciné, ce qui en fait un livre à la fois totalement respectable et tout à fait plaisant, mais de portée peut-être un peu limitée.