dimanche 25 décembre 2005

Du rire, Stendhal, Paris, 25 décembre 2005

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Compilation des textes sur le rire de Stendhal, qui avait pour première ambition d’être un auteur de théâtre comique. Il pensait que s’il arrivait à définir le rire et les ressorts du comique, il pourrait par la suite enchaîner les pièces tordantes. La naïveté stendhalienne atteint ici des sommets.

Evidemment, rien de plus anticomique qu’une analyse du rire, et Stendhal s’avère un théoricien particulièrement médiocre : il ressasse trois idées à partir d’une définition du rire de Hobbes, à savoir que le rire est un effet de l’amour propre, l'expression du contentement de soi lors d'une situation de supériorité. C'est la raison pour laquelle l'effet comique est plus efficace s'il est brusque, l’impression de supériorité du rieur ne résistant pas longtemps à l’analyse. Cette même définition conduit encore Stendhal à affirmer que le rire est mort avec la Révolution car les républicains ont des préoccupations trop rationnelles... Seul le dernier texte sur les lettre d’un certain De Brosses sont dignes du goût et du talent de conversation de Stendhal : il y exprime sa nostalgie de la légèreté et déplore l’hypocrisie de son temps en s’abstenant de l’emphase philosophique qui gâte les autres textes.

Quoi qu'il en soit, la collection Rivages poche, dont l’essai sur le goût de Montesquieu faisait également partie, est à proscrire.

jeudi 22 décembre 2005

Rien de grave, Justine Lévy, Paris, 22 décembre 2005

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Lu avec beaucoup de plaisir mais avec aussi un peu de honte, presque dévoré, ce roman à clés transparentes est bien écrit, drôle, triste, très émouvant, banal, ou plus exactement actuel, digne et gênant à la fois. C’est le récit autobiographique d’un amour de jeunesse franchement puéril qui tourne au drame et d’une résurrection qui ne sera jamais complète.

Louise (Justine Lévy) est folle amoureuse d’Adrien (Raphaël Enthoven) qui le lui rend bien. Ils se marient mais Louise a l’impression de ne pas être à la hauteur du monstre d’ambition qu’est Adrien, écrasé par les figures paternels de son propre père (Jean-Paul Enthoven) et de celui de Louise (BHL). Elle se met au niveau grâce aux amphétamines (en balançant au passage que BHL en utilise de temps en temps) mais vire à la toxicomanie aggravée, sans qu’Adrien ne se rende compte de rien. Tout juste désintoxiquée, elle se fait plaquer pour Paula (Carla Bruni), la propre belle-mère d’Adrien (la compagne de Jean-Paul Enthoven), et Paula et Adrien font un enfant dans la foulée. Après un certain temps dans le brouillard, Louise cicatrise enfin avec Pablo et découvre la version adulte de l’amour, celui où chacun peut envisager la rupture et survivre.

L’histoire est tellement banale (sauf le coup de la belle-mère, fameux !) qu’on se demande à quel point le déballage people lui permet de tenir debout. Raphaël Enthoven, narcissique et vaniteux jusqu’au ridicule, se révèle en carton quand la situation se complique (quand Louise s’aperçoit de sa grossesse au bout de cinq mois alors qu’ils ont vingt ans, quand Louise marche aux amphètes,…). Quant à Carla Bruni, elle est carrément monstrueuse de chirurgie esthétique et de duplicité. Clairement cette cruauté de la description participe au plaisir de la lecture, de même que le côté « reportage sur les mœurs actuelles de 7ème arrondissement ». D’un autre côté, même si on se doute qu’elle n’est pas totalement objective, Justine Lévy reste digne. C’est d’abord sa douleur qui touche, et elle ne cherche pas de victime expiatoire. Mais quand même, quelle vengeance terrible que d’en avoir fait un livre !

lundi 19 décembre 2005

Et mon mal est délicieux, Michel Quint, train Blois – Paris, 19 décembre 2005

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Déçu au bout de la deuxième phrase, où le soleil « pète », alors que je croyais avoir trouvé en Michel Quint un styliste hors pair. Il y a bien quelques éclairs, à commencer par le titre de ce roman express (90 pages), extrait d’un vers d’Apollinaire qui lui en a fourni deux (« Oui je veux vous aimer, mais vous aimer à peine, et mon mal est délicieux »), mais noyés dans un langage relâché sans raison valable autre qu’une tentative ratée de mettre de la gouaille dans le récit.

C’est en effet l’histoire d’un vieux monsieur qui choisit un écrivain en herbe pour lui confier l’histoire de sa vie à mettre en livre : l’histoire de l’amour de Luz, une ibère un peu ouf qui croyait être tombée amoureuse de Gérard Philippe. En fait c’est bien du vieux qu’elle était amoureuse mais elle se servait de Gérard Philippe pour ne pas nuire au vieux car elle se croyait dangereuse. C’est à la fois anodin, profond, plein de retournements et un peu convenu. Il y a surtout ce ton de modestie qui est irritant : « l’histoire de nous autres, hommes de peu, n’est que le malentendu d’un baiser attendu et jamais réclamé ».

Quand même un bon compagnon de train, avec exactement le nombre de pages que dure Paris – Blois.

samedi 17 décembre 2005

Journal, Franz Kafka, Paris, 17 décembre 2005

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Dans la série des diaristes, Kafka n’est pas des plus légers. Son journal, annoté irrégulièrement (ou incomplètement transmis) de 1910 à 1923, chronique son combat contre le monde et contre lui-même et l’euphorie ne perce pas à toutes les pages.

Kafka ne se sent qu’un seul centre d’intérêt, la littérature, et il se reproche d’être à la fois trop pleutre pour s’y consacrer entièrement (et quitter son horrible poste de juriste dans les assurances) et de se convaincre, toujours par faiblesse, que son exclusion du monde est un choix qu’il a fait par fidélité à sa vocation. Il a toujours été très seul, a ressenti son père comme écrasant, adore ses sœurs mais affirme ne ressentir aucun intérêt pour sa famille, a rompu ses fiançailles deux fois. Plus il avance et plus il est seul et plus il se rend compte que c’est irrémédiable. La fatigue physique l’empêche de pouvoir dissimuler sur la durée sa froideur de sentiment et rend progressivement toute attache insupportable. Il se raccroche à la littérature, qui lui donne des moments d’exaltation même si là encore il se plaint continuellement des abandons de son corps.

Outre les variations de son désespoir, le journal de Kafka recueille également le tout-venant des produits de sa prodigieuse imagination. Le texte est truffé de départs de nouvelles, de bribes de dialogues qui en quelques lignes posent un univers dans lequel on rentre instantanément. Même si on aurait plaisir à poursuivre ces débuts de récit, leur interruption souvent très rapide n’est pas vraiment frustrante car quelques mots de Kafka sont suffisants pour créer un dépaysement. Par ailleurs l’immersion de ces textes dans le journal en rend la lecture amusante car on ne sait pas toujours au début s’il s’agit d’un fait réel ou imaginaire. Les extraits de lettre sont également remarquables, notamment la lettre au père de F qui précède la rupture des fiançailles. Les rêves en revanche sont tellement farfelus et foisonnants, et précis aussi dans leur description, que j’ai sauté ces pages la plupart du temps : Kafka aurait pu occuper une armée de psychologues à plein temps.

Je n’avais jamais lu Kafka ni eu envie de le faire parce que je pensais que j’allais entendre parler d’insecte. Son journal est une bonne entrée en matière pour sentir l’urgence du personnage et la constance de sa recherche, qui participent sans doute à l’émotion de le lire. Sans atteindre son niveau, Dieu merci (imaginer ce que c’est que d’être incapable d’aimer, ou de s’en croire incapable !), comment ne pas se sentir proche de Kafka dans les difficultés de son rapport au monde. Il écrit le 25 octobre 1921 (à 38 ans – il meurt à 41 ans de la tuberculose) : « Mes parents jouaient aux cartes, j’étais auprès d’eux, seul, totalement étranger ; mon père dit que je devrais jouer ou tout au moins regarder la partie ; je refusai sous un prétexte quelconque. Que signifiait ce refus, si souvent répété depuis mon enfance ? Ce qui m’était ouvert par cette invitation à jouer, c’était la vie commune, jusqu’à un certain point la vie sociale ; (…) Si je refusais toujours, c’était sans doute en raison de ma faiblesse générale et, surtout, de la faiblesse de ma volonté, mais je ne l’ai compris que relativement tard. Autrefois je considérais généralement ce refus comme un bon signe (abusé que j’étais par les grands espoirs que j’avais en moi), aujourd’hui, il ne me reste guère qu’un vestige de cette agréable façon de voir. (…) Au cours de l’une des soirées suivantes, je finis par prendre réellement ma part au jeu en notant les résultats pour ma mère. Mais cela ne donna lieu à aucun rapprochement et à supposer qu’il y en eût une ombre, elle fut aussitôt balayée par la fatigue, l’ennui et le regret du temps perdu. Il en eût toujours été ainsi. Cette zone frontière entre la solitude et la vie en commun, je ne l’ai franchie qu’extrêmement rarement, je m’y suis même établi plus solidement que dans la solitude véritable. Comparée à cette contrée, comme l’île de Robinson était vivante et belle ! »