mardi 31 mai 2005

Terrain vague, Olivier Rohe, Noirmoutiers, mai 2005

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Tout petit livre d’un jeune auteur, apparemment son second, je ne sais pas pourquoi je l’ai acheté, ni pourquoi je l’ai lu, ni pourquoi quelqu’un l’a publié. Un type dans un appart après une apocalypse non précisée, qui contemple par son balcon un monde dans lequel tout est aseptisé et regrettant le temps des microbes tout en traînant ses maladies horribles. 60 pages de divagations futuristes et dépressives, qui auraient pu être plaisantes si l’écriture était meilleure et l’écrivain plus généreux sur le monde parallèle qu’il invente, dont on sent qu’il a du mal à tenir debout, et pour lequel il choisit de livrer très peu de choses en laissant le boulot au lecteur.

En gros c’est un départ de roman qui a fait long feu. Rien d’infâmant mais j’ai du mal à comprendre l’auteur qui laisse publier ça.

lundi 30 mai 2005

Chroniques, vol.1, Bob Dylan, Mai 2005

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Offert par C. le jour de sa sortie, lu avec un plaisir constant et profond tout en écoutant la BO du livre (un concept prometteur), qui regroupe la multitude de musiciens que Dylan a scotchés, ainsi que des morceaux de Dylan évoqués dans le livre et des reprises variées. Fini dans le train en rentrant de Chambéry, prêté à M. à Noirmoutiers, offert à la mère de C. pour ses soixante ans : mai 2005, période heureuse.

Dylan est un écrivain spontanément brillant : son texte n’est pas travaillé (ou donne l’impression de ne pas l’être), pas structuré. C’est juste un type qui se met à parler et qu’on écoute avidement, de digression en digression : signature de son premier contrat, la vie au Village à la fin des années 50, les lectures (avec des références trop parfaites et trop vastes pour être totalement crédibles), la rançon du succès, les rêves d’étudiant, la 1ère chanson, l’enregistrement de l’album Oh Mercy et encore retour au Village, et un dîner avec Bono, etc… C’est déjà un bouquin considérable et dense mais qui ne donne pas l’impression de difficulté, et qui ne couvre qu’un petit morceau de l’existence de Dylan ; il reste une matière considérable pour les 2ème et 3ème volumes.

Ce qui est vraiment kiffant et passionnant, c’est de retrouver dans ce bouquin, traduit en français de surcroît, l’attitude dylanienne, faite de fierté, de rage, de respect, de hauteur, celle de Positively 4th street. Dylan c’est une façon de regarder, de se concentrer sur l’essentiel, et une indépendance farouche, qui confine forcément à l’égoïsme, mais reste avec honnêteté à l’écoute de sa musique intérieure. Dylan c’est vraiment quelque chose de spécial, de difficile à définir, mais qui se retrouve totalement dans ces chroniques. Les volumes 2 et 3 seront l’occasion d’approfondir la question et d’ici là j’ai une dizaine d’albums avec lesquels j’aimerais être plus intime. J’ai pas fini de kiffer.

mardi 17 mai 2005

Vies minuscules, Pierre Michon, Paris, 17 mai 2005

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Voilà un livre bien étrange et inclassable, une lecture laborieuse mais souvent éblouissante, dont le seul titre (et peut-être aussi mes endormissements répétés à son contact) a intrigué C. au point qu’elle l’a ouvert pour en lire quelques phrases.

Pierre Michon fait le récit de son enfance au travers de biographies d’ancêtres plus ou moins supposés, d’amantes, de personnes croisées, et de sa grande sœur morte en bas âge. Il présente ainsi ses origines modestes et paysannes, source de ses deux moteurs qui sont la honte et la pitié, ses errances alcooliques et psychotropes, son désespoir d’écrire un jour l’œuvre définitive et mégalomane à laquelle il se sent appelé, et sa ruine écrite d’avance. Il se présente comme le dernier d’une lignée de déchéance et il veut célébrer ceux qui l’ont précédé, comme pour s’excuser de ne pas leur donner suite.

C’est donc un bouquin totalement dépressif et désespéré, triste et nostalgique, haineux de soi-même. Pierre Michon ne se souhaite à personne et s’accuse de s’être piégé lui-même, le jour où il a découvert Arthur Rimbaud. C’est dur mais ça fait souvent mouche, l’impression de justesse étant renforcée et complétée par la poésie du style, d’une richesse baroque dans une rigueur classique. Vraiment étonnant, rébarbatif et admirable. Je ne me souviens pas d’avoir lu un livre avec autant de mots inconnus, incoonnus et beaux et dont on devine le sens, ou des mots déjà croisés mais utilisés pour leur vrai sens profond, comme « vergogne », toujours précédé de « sans ». Ici les morts finissent par se taire, « de vergogne ». Les mots, utilisés chacun pour eux-mêmes et sortis des lieux communs, retrouvent leur sens. Chaque phrase a dû demander des jours ; beaucoup demandent à être lues et relues afin d’identifier le sujet et le verbe, souvent inversés, souvent noyés dans un flot inarrêtable d’énumérations descriptives.

J’ai lu sur internet qu’écrire ce livre avait enfin apaisé Pierre Michon. Il a pu ensuite commencer une nouvelle existence plus sereine, il écrit et il a même un enfant. Happy end.