lundi 31 juillet 2006

L’âge d’homme, Michel Leiris, TGV Avignon-Paris, 31 juillet 2006

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Offert avec beaucoup d’à-propos par P. pour mes 30 ans et initialement alléchant (l’auteur se propose, ayant atteint l’âge d’homme, de procéder à un bilan dont il ne taira rien, dans le but de s’émanciper de certaines obsessions qui le rongent), cette lecture se révèlera presque aussi assommante que celle du Quignard offert à la même occasion par la compagne de P.. Soit nous appartenons à deux familles de lecteurs aux goûts inconciliables, soit mon appétit de lecture est émoussé, mais ça fait un moment que je m’endors sur mes livres…

Michel Leiris est proche des surréalistes, intéressé par la psychanalyse et l’interprétation des rêves, passionné de théâtre et d’opéra. L’essentiel des 200 pages de ce livre relate des souvenirs d’enfance en particulier la découverte des classiques du théâtre et de l’opéra et des figures qui l’ont marqué, voire traumatisé, dans ces pièces. Deux figures de femmes reviennent ainsi de façon lancinante : Lucrèce qui se suicide devant son mari parce que Sextus Tarquin l’a violé, et Judith, qui, après s’être offerte à lui, tranche la tête d’Holopherne, général de Nabuchodonosor qui assiégeait Béthulie. Leiris exhibe les méandres de son parcours de maniaque sexuel impuissant, écartelé entre la figure de la sainte (Lucrèce, qu’il épouse contre son gré ou qu’il fréquente assidûment au bordel et à qui dans tous les cas il inflige des souffrances) et la figure de la pute (soit également au bordel, soit rencontrées au cours de beuveries acharnées, et dont il jouit du mépris pour sa déchéance).

Epuisé par cet insoluble sado-masochisme, il décide de s’analyser le plus objectivement possible (même s’il est conscient que l’objectivité lui est inaccessible) et tente au passage d’en faire un chef d’œuvre littéraire, l’occasion semblant propice puisqu’il se met en danger (« De la littérature considérée comme une tauromachie »). La thérapie est-elle efficace ? Si l’on considère que l’auteur est suicidaire quand il décide d’écrire (en 1930), qu’il envisage dans la préface rédigée en 1945 de finir ses jours avec sa compagne, ce qui suppose qu’il a enfin trouvé une relation de couple équilibrée, qu’il a une nouvelle fois annoté son ouvrage en 1965 pour une nouvelle parution, ce qui suppose qu’il était toujours vivant, on peut sans doute répondre par l’affirmative, bien que le principal enseignement de sa réflexion est qu’il a le goût de la souffrance parce qu’il s’est très tôt construit par la découverte passionnée des arts dramatiques. Un peu faiblard au bout d’une réflexion de cinq années.

S’agit-il d’un chef d’œuvre littéraire ? Il semble que cela soit communément admis mais sans doute davantage à cause de l’intransigeance de la démarche exhibitionniste et sacrificielle qui publiée en 1935 a fait date dans l’histoire littéraire, qu’à cause des qualités littéraires intrinsèques du livre : la grande richesse des références culturelles et l’élégance du style me semblent gâchées par le fouillis de la composition (sans doute à mettre sur le compte des accointances surréalistes) et le récit est beaucoup trop centré sur la petite enfance pour devenir réellement passionnant. Que cela soit ou non dans la petite enfance que tout se joue (ce dont Leiris semble convaincu), l’intérêt pour le lecteur est d’avoir connaissance en détail des déflagrations qui en résultent à l’âge adulte.

mercredi 26 juillet 2006

Vie de Rancé, Chateaubriand, Bandol, 26 juillet 2006

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Redécouverte longtemps après la mort de Chateaubriand, cette biographie du réformateur de la Trappe semble répertoriée par beaucoup d’illustres commentateurs, notamment André Maurois et Charles Dantzig (dans son Dictionnaire égoïste) comme l’autre chef d’œuvre de l’auteur des Mémoires. Or c’est certes un livre intrigant, exercice de style réalisé par un génie littéraire dans la ligne du Génie du christianisme (qui visait à réconcilier mystique chrétienne et hédonisme en approchant la religion par l’esthétisme et la jouissance masochiste des mortifications) à la demande de son directeur de conscience, sur un sujet qui donne prise à son lyrisme mais qui visiblement l’ennuie. Le livre est par conséquent totalement bâclé et passablement ennuyeux.

On apprend fort peu de Rancé, ou par touches impressionnistes. À 37 ans de débauche ont succédé 37 ans de cloître dans l’étroite observance d’un règlement réformé dans un sens extrêmement strict. Les moines de la Trappe renonçaient non seulement à tout confort, mais aussi à tout contact avec l’extérieur, sauf apparemment le père abbé Rancé qui faisait ses mondanités. Les trappistes renonçaient enfin (sauf le père abbé encore une fois qui pesait sur le débat public par ses écrits) à toute ambition intellectuelle, se contentant d’attendre la mort après la 1ère mise au tombeau de l’entrée au cloître.

Les deux premiers tiers du livre sont pour l’essentiel des divagations mondaines impossible à suivre rassemblant tous les potins disponibles sur les personnages ayant croisé Rancé : une quinzaine de noms propres à chaque page, agrémentés de trois références au théâtre grec et d’une ou deux citations latines, le tout saupoudré de sous-entendus dans le style ampoulé du milieu du 19ème siècle, c’est parfaitement imbitable. La dernière partie est davantage consacrée au rayonnement de Rancé et aux controverses auxquelles il a pris part, notamment sur la place des études dans la vie des cénobites.

Chateaubriand abuse des citations du début à la fin de ce travail imposé, et notamment cite longuement les lettres de Rancé dont le style est limpide quoique empli de tournures datées. La confrontation de deux styles si représentatifs de leurs siècles (17ème classique épuré, 19ème superlatif chargé mais spirituel) est un des charmes de cet ouvrage exaspérant mais touchant par ses incongruités, tellement caractéristique des ambivalences de Chateaubriand, qui a suffisamment de repentance pour écrire un ouvrage sur injonction de son directeur de conscience, mais trop peu de tourment moral pour ne pas le bâcler. Il ressort à tout bout de champ des passages extraits d’autres de ses livres, notamment le « quam juvat » de Tibulle de façon tout à fait inappropriée, et s’éloigne dès que possible du sujet initial : religion et repentance…

lundi 17 juillet 2006

Les ombres errantes, Pascal Quignard, Caromb, 17 juillet 2006

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J’ai mis un mois (de coupe du monde) à lire ce petit livre de 200 pages découpé en 55 chapitres et dont la 4ème de couverture fait deux lignes. Ce qui, de même que le prix Goncourt glané en 2002, n’était pas de bon augure. On baigne dans le vocabulaire sophistiqué, les tournures de phrase exigeantes, les citations latines superflues (surtout quand il s’agit de citer la bible dans le texte…) et les anecdotes historiques regardant des personnages de second rang, sans comprendre autre chose qu’un vague regret du temps d’avant où la télé n’avait pas encore provoqué le retour en grâce des images au détriment du langage écrit. Ce mouvement inverse selon Quignard la révolution intervenue lors de la conversion de Constantin, lorsqu’une voix lui intime de remplacer les images par des lettres sur les boucliers de ses guerriers.

Le Goncourt pour un livre pareil semble invraisemblable. C’est érudit, mais pour masquer le vide. Dès que le raisonnement devient intelligible il est grotesque et caricatural : anti-américanisme haineux, apologie de la solitude et détestation adolescente de la société qui interdit toute joie vraie, le seul bonheur véritable et autorisé ne pouvant se trouver que dans la lecture, dans la relation « seul à seul » que le livre permet. Reste un indéniable talent de conteur, poète et styliste, qui prend enfin le dessus dans certains récits simples et intransigeants (chapitres 8 et 53).