samedi 21 août 2004

Bubble Gum, Lolita Pille, Paris, 21 août 2004

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Pour son deuxième roman, Lolita porte toujours aussi bien son nom et plagie cette fois quasi ouvertement Ellis, Glamourama en particulier. Narration croisée entre Derek et Manon, avec le nom du locuteur en majuscule au début des chapitres comme dans les Lois de l’attraction. Derek est milliardaire et s’ennuie. Manon est une plouc de province qui rêve de cinéma. Derek décide de détruire quelqu’un et choisit Manon. Pendant un an et demi il lui fait croire qu’elle devient un top model planétaire et une actrice adulée, en embauchant tous les figurants et sosies nécessaires, en créant de faux journaux, etc… et puis la renvoie d’un coup sec à sa condition de nobody en faisant en sorte qu’elle croie qu’elle a rêvé tout ça et qu’elle est complètement schizo, et pour finir la pousse au suicide. Mais Derek était en fait à son insu le héros d’une émission de télé-réalité et juste quand elle va se suicider, le producteur de l’émission met Manon sur la piste de la supercherie dont elle a été victime, du coup elle retrouve Derek et le bute, mais au montage ce sera maquillé comme de la légitime défense. Du coup Manon n’a plus rien à craindre de la police, et en prime devient vraiment une star car l’émission cartonne. Voilà (hommage à Frédéric Beigbéder en postface).

Ca tient pas une seconde, en particulier à cause du rôle de Silsi, collègue stupide de Manon, beaucoup trop fashion victim pour être capable de duplicité et de discrétion. Donc globalement c’est pas une réussite (même si ça se lit agréablement). En revanche c’est toujours aussi impressionnant question références culturelles et connaissance du milieu. Et pleins de critiques acerbes de notre monde et de notre France qui sonnent justes. Comme pour son premier roman, Lolita Pille promet mais le diamant reste à polir, et on peut peut-être regretter que son éditeur ne se montre pas plus exigeant avec elle en l’obligeant à travailler ses textes plus longtemps avant de les publier. À suivre donc.

mardi 17 août 2004

Demande à la poussière, John Fante, Paris, 17 août 2004

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Une bombe absolue, pas seulement un chef d’œuvre, une magie qui opère. Tout est réussi, même la couverture de l’édition de poche est superbe. Court, ramassé, mais plein, avec un style « qui remue la chair et passe prés de l’os » (de mémoire).

Arturo Bandini, double de John Fante, fils d’immigrés italiens installés au Colorado, débarque à Los Angeles avec les quelques dollars de sa première nouvelle publiée et prend une chambre d’hôtel pour travailler à devenir un grand écrivain. Il n’a pas une thune et ne connaît quasiment personne, se rattrape par les couilles à chaque fois qu’il n’a vraiment plus rien et qu’il est à deux doigts de s’en retourner dans son Colorado en recevant les subsides d’Hackmuth, son éditeur adoré. Et aussi il est puceau et pas trop dégourdi avec les gonzesses. Un soir Camilla Lopez lui sert un mauvais café, payé avec sa dernière pièce. Il agresse la serveuse avec la dernière méchanceté et en tombe ce faisant définitivement amoureux. Comme la méchanceté est un piège à gonzesses, elle lui donne sa chance sur la plage peu après, mais il ne peut la saisir car il ne remet pas la main sur sa « passion ». De là succession de chassés croisés amoureux, Camilla étant masochistement amoureuse de Sammy le barman, un affreux salaud qui finira par la suicider dans le désert. Et pendant ce temps-là, Arturo devient effectivement grand écrivain.

Arturo Bandini est trop cool, fier, généreux, méchant, maladroit, réellement bourré de talent littéraire, mégalo complexé et libre, heureux, sachant kiffer, exigeant avec lui-même mais sans s’accabler. Et Camilla est la beauté même, d’une gentillesse totale et en même temps dangereuse. Elle fait son malheur avec application en s’entichant d’un enfoiré qui la rejette. Peut-être juste une question d’adéquation sexuelle ? Sammy matche et pas Arturo ?

Tout simple et puissant : deux personnages et demi, trois avec la figure de l’éditeur, trois et demi avec Hellfrick, sa gnole et ses steaks coupés à même la vache, et ça coule de source, ça tient debout tout seul, ça existe.

Je me demande pourquoi je kiffe tellement cette littérature américaine de la 1ère moitié du 20ème siècle (Fitzgerald, Capote, Dos Passos, Salinger…), peut-être parce qu’il y a de la finesse mais pas de second degré, de l’humour mais pas d’effet comique, de la tendresse mais pas de complaisance, de la hargne, de la rage, de la classe. Et je me demande, aussi, pourquoi les figures de femmes belles, intelligentes et merveilleusement sensibles qui s’acharnent à construire leur propre ruine m’émeuvent à ce point (comme Jenny dans Forrest Gump).

mercredi 11 août 2004

Les sots, Vincent Degarde, Paris, 11 août 2004

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1er roman de l’impétrant, acheté à cause de l’adjectif « hilarant » dans la chronique du monde littéraire sur la nouvelle vague de la littérature française. C’est effectivement un petit livre amusant, avec un petit côté recueil de blagues éculés sur les débiles (ex : un des sots est sur un puzzle depuis 6 mois mais ne s’inquiète pas parce qu’il y a écrit 4-11 ans sur la boite) et de devinettes archi connues pour intelligents (Degarde ose le « il disparaît quand je l’appelle » et les « deux portes avec cerbères dont l’un ment et droit à une seule question »), ce qui est très énervant. De même on se demande si l’éditeur a lu le livre avant de le publier : Jessica invite Pascal au resto le lundi à 20h et la scène se tient le soir même alors qu’on est vendredi. Il y a comme ça des tas d’invraisemblances qui laisse penser que l’auteur ne s’est pas trop creusé la tronche et pas beaucoup relu, mais comme il dit à la fin que le bouquin est truffé de pastiches, ce sont peut-être les pastiches non relevés qui expliquent les incohérence… J’en ai quand même relevé quelques-uns, notamment les caricatures au début du livre de Delerm, Nothomb, Houellebecq, qui m’ont effectivement hilaré, et un peu plus tard Ellis. Entrecoupant les considérations lourdingues sur la logique (Marie est prof de logique), pleins de propos amusants et intéressants dont notamment des maximes sur la drague qu’il faut que je me greffe au cerveau :
1. En cas de débat d’idées, toujours aller au-delà des possibilités intellectuelles de l’adversaire, serait-ce en bluffant, tout en lui faisant croire qu’on pense qu’il comprend. Ne jamais s’éterniser, ça va deux minutes.
2. Même en cas d’adversaire maternante, ne jamais se laisser plaindre. Dévirilisation assurée. Changer de sujet d’un air blessé si nécessaire.
3. On ne relance jamais deux fois le même thème, sauf volonté explicite de la personne à séduire.
4. Être toujours un peu trop modeste, pour laisser entendre qu’on est exceptionnel.
5. Le lieu est toujours enchanteur à cause de l’être aimé. A part ça on méprise un peu parce qu’on a connu mieux.
Tout ça est un peu décevant au recopiage…

Une chose vraiment réussie dans le livre, c’est la conclusion, la dernière phrase en particulier, « je t’attends ». Ca n’excuse pas les approximations qui jalonnent l’histoire et quelques grosses foirades, mais ça les atténue singulièrement. Encore un point positif : les nombreuses adresses au lecteur sont sympathiques (à quelques lourdeurs près). Adam Thirlwell pourrait en prendre de la graine.

Je ne suis pas bien sûr pour autant d’acheter le prochain livre de Vincent Degarde, sauf peut-être en poche : rien de nécessaire. Quant à ses comparses de la nouvelle vague française qui cite Paul Auster et Milan Kundera en référence (David Foenkinos, Martin Page), je suis refroidi alors que je n’étais déjà pas chaud.

lundi 9 août 2004

Rapport sur moi, Grégoire Bouiller, Paris, 9 août 2004

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Disproportion entre les 2h30 de lecture de ce livre de poche à 3,33 € et les 40 ans qu’il aura fallu à l’auteur pour le pondre. La 1ère phrase est « j’ai eu une enfance heureuse » et la suite résume les drames de cette enfance (conçu lors d’un threesome, Bouiller n’est pas le fils de son père, ses parents sont complètement barrés, sa mère suicidaire) et les répercussions que cette enfance a eu selon lui sur son existence entre 20 et 40 ans, marquée notamment par une période de trois mois dans la rue sur laquelle l’auteur ne s’étend pas. C’est vraiment un bouquin et un type étranges : très simple et complètement tiré par les cheveux, notamment pour les correspondances entre séquelles d’enfance non digérées et péripéties plus ou moins provoquées de la vie d’adulte, naïf et malsain, à mi-chemin entre le « j’en rajoute pas » et le racolage voyeuriste. Le type est beau, sympathique et séduisant mais vrillé de la tronche et il cherche dans son enfance les raisons du vrillage. Et des raisons il en a, lui.

Sinon pleins de délires d’enfant très bien observés et des points de vue intéressants, notamment sur le sexe, « l’une des rares possibilités de se livrer avec quelqu’un à une expérience humaine qui me dépasse (en temps de paix). » J’apprends aussi que Grégoire vient du grec et signifie « celui qui veille », l’éveillé.

Bizarrement, un tas de gonzesses dans ce bouquin mais une fois que l’auteur a eu plus de 9 ans, pas un pote qui soit nommé ou même sommairement décrit. Tout juste une de ses gonzesses qui s’enfile à peu près tous ses potes et à qui il finit par faire une gamine avant de se faire larguer (si je ne mélange pas). Et des relations qu’il choisit parce qu’elles s’insèrent dans son Odyssée personnelle, bouquin dont la lecture en une nuit lui a sauvé la vie, ce qui constitue un des passages obscurs du récit. Un sacré tordu, en fin de compte, qui sent quand même un peu l’intellectuel de salon (ou de boite). Bref je ne sais pas quoi en penser alors autant se contenter de retenir les idées intéressantes de ce que le dos de couverture présente comme un manuel de survie : par exemple que la vie commence à 40 ans, parce qu’avant on ne fait que digérer son enfance. C’est vrai que c’est rassurant d’y croire.

dimanche 8 août 2004

Souvenir d’égotisme, Stendhal, Paris, 8 août 2004

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Je voulais relire Stendhal, le Rouge et le noir par exemple, mais je m’aperçois que cette perspective ne m’excite pas. Puis je tombe sur Souvenirs d’égotisme et je suis content de commencer un Stendhal jamais lu, mais je m’aperçois au fur et à mesure que je l’ai déjà lu ou que j’ai déjà au moins commencé à le lire, et le livre me tombe des mains au tiers environ, à peu prés au même endroit que la fois précédente je crois, quand il explique qu’il était super déprimé en 1821, incapable d’enchaîner une discussion légère (arrivant même à la dernière extrémité : adresser des questions directes à son interlocuteur) pour la bonne raison que ce n’est qu’en 1827 qu’il apprit à avoir de l’esprit. Faudra que je m’obstine et que je pousse jusqu’en 1827 : apprendre à apprendre à avoir de l’esprit m’intéresse au plus haut point, mais je crains fort que cette histoire ne soit elle-même qu’un trait d’esprit. Après vérification, le récit stoppe net en 1822.

mardi 3 août 2004

La destruction d’un cœur, Stefan Zweig, Les Granges, 3 août 2004

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Première approche de Zweig : une lecture frappante. L’histoire d’un vieil homme, sans doute allemand, qui s’accorde quelques vacances en Italie avec sa femme et sa fille unique, après toute une vie de labeur. Le vieil homme s’aperçoit par hasard que l’un des autres habitants de l’hôtel où ils résident se tape sa fille la nuit, alors qu’ils sont arrivés l’avant-veille. Il en est complètement retourné mais ne sait pas quoi faire de sa rage ni comment empêcher sa fille de continuer ou de recommencer, et comment punir l’enfoiré. Finalement il se réfugie dans la solitude et l’émotion lui est tellement insupportable dans son emballement paranoïaque que son cœur explose : il devient absolument indifférent à tout (notamment à sa femme et à sa fille), et tout le monde le lui rend bien, puis finit par crever, bien seul.

Dans la rage du gars révolté par les frasques sexuelles auxquels il assiste impuissant : tout à fait moi ces derniers temps, d’une façon frappante. Mais c’est tout le paradoxe de la nouvelle, genre inventé ici on dirait, on est mis en appétit en s’identifiant immédiatement aux péripéties rencontrées par un personnage, puis immédiatement laissé sur sa faim et sans autre explication : plus la nouvelle est frustrante, plus elle est réussie (à l’image de Boule de Suif de Maupassant). Là c’est le cas parce que j’aurais aimé avoir des explications sur les réactions du vieil homme, si proche de mon incompréhensible énervement récent.

lundi 2 août 2004

La fée Carabine, Daniel Pennac, Les granges, 2 août 2004

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(Re)lecture de vacances, anodine, trouvée sur place. Plaisir d’enfant des histoires brodées par Oncle Pennac au coin du lit. Ca me fait plus marrer comme avant mais je suis encore attendri. Je me souviens que je gloussais comme à la lecture de Gotlib la 1ère fois que j’ai lu le 1er chapitre, où la fée Carabine transforme Vanini en fleur sur une plaque de verglas en forme d’Afrique. Là j’ai pas retrouvé ça, sans doute que l’effet de surprise est nécessaire à une bonne pliade ou peut-être que je l'attendais trop.

Donc c’est un peu moins drôle que dans le temps, mais le talent de conteur de Pennac est toujours aussi plaisant ; de l’art d’émouvoir et de faire rêver avec des matériaux extrêmement simples et éternels. Benjamin Malaussène est héroïque de masochisme mais lisse jusqu’à la niaiserie ; il est quand même un peu jaloux du flic Pastor, vrai héros de l’histoire qui susurre à l’oreille de la belle Julie endormie avec ses gros seins. Mais finalement comme tout finit toujours bien, Pastor embarque plutôt la mère Malaussène et Malaussène conserve sa Julie : tous les méchants sont punis et l’amour triomphe. Dormez bien les petits.