dimanche 27 mai 2007

La faim, Knut Hamsun, Paris, 27 mai 2007

-
Un type dont on ignore le nom nous raconte ses pérégrinations dans la ville de Christiana qu’il traverse en tout sens à la recherche d’une personne à même de le dépanner de quelques subsides, d’un directeur de journal susceptible de publier son dernier article, d’un lieu assez calme et éclairé pour pouvoir écrire, d’un endroit pour passer la nuit, d’un miracle permettant de se mettre quelque chose sous la dent quand on n’a pas un öre en poche et rien mangé depuis quatre jours… et invariablement le miracle se produit : au bout du désespoir un article est finalement publié, un commerçant se trompe sur la monnaie, une amoureuse fait porter une enveloppe contenant 10 couronnes… mais notre héros n’a qu’une hâte : dilapider sa bonne fortune et retourner se morfondre. Sans en avoir une claire conscience, il se repaît des humiliations qu’il subit, des privations qu’il endure et pour une part s’inflige. Son sacerdoce d’écrivain exige une disponibilité totale pour attendre et faire fructifier ses « bons moments », sortes de fulgurances créatives dont la survenue n’est peut-être pas déconnectée des délires provoqués par la faim. Pour autant le jeûne n’est ni volontaire, ni fonctionnel ; tout juste résulte t-il parfois d’ « oublis ». Sans être vraiment fou, le héros est fantasque, adepte avant l’heure de l’acte gratuit ou du happening surréaliste, s’inventant des personnages ou en construisant dans ses interlocuteurs, comme Ylajali, qu’il élabore à partir d’une jeune fille qu’il intrigue et effraie à la fois.

Le principal mérite de ce livre très étrange, glauque mais léger, obsessionnel mais détaché, est d’avoir été écrit en 1890. Il a connu immédiatement un grand succès tant il était novateur et choquant, ce qui vaudra à Knut Hamsun le prix Nobel en 1920. Il contient une radicalité qui pourrait encore choquer aujourd’hui et pourtant le texte n’est pas dense. Quelques heures suffisent à sa lecture, qui ne recèle pas de difficulté et ne provoque aucun dégoût en dépit des aventures tragiques de l’affamé. Son comportement est pourtant révoltant d’atermoiements, d’incohérence, de masochisme, de bêtise en un mot. Et pourtant on l’accepte, et même on l’encourage, comme s’il servait d’exutoire ou explorait à la place du lecteur des contrées nécessaires, faisant don au passage de son corps et de ses cheveux en particulier, premières victimes du jeûne. Cette part nécessaire, c’est le rôle de l’artiste, celui de s’en remettre à Dieu comme les petits oiseaux, sans se soucier de ce dont demain sera fait, sans rien thésauriser. Arrivée d’une planète inconnue en l’an 1890, cette exploration anti-bourgeoise de la déraison a fait bien des petits depuis.

mardi 8 mai 2007

En cas de bonheur, David Foenkinos, Paris, 8 mai 2007

-
Foekninos est soi-disant le chantre d’une nouvelle génération prometteuse de romanciers français, en compagnie de types comme Vincent Degarde et Olivier Rohe, et peut-être peut-on le situer dans le cadre d’un mouvement qui dépasse nos frontières en raison de sa grande proximité avec un Adam Thirlwell par exemple, dans le ton désabusé-réenchanté ou l’adresse au lecteur inopinée et un peu agressive. C’est peu de dire que ce n’est pas ma came. Je trouve les livres de ces types médiocres et leur style inélégant.

Ici Claire et Jean-Jacques ronronnent après huit ans de vie commune et une fille adorable. Alors Jean-Jacques prend une maîtresse, Claire embauche un détective et comme c'est l'usage quitte son mari pour le détective. Finalement chacun quitte son amant respectif et le détective rejeté pousse la vertu amoureuse jusqu’à provoquer à l’insu de Claire et Jean-Jacques un concours de circonstances qui leur fait croire qu’ils sont définitivement faits l’un pour l’autre (inutile de s’attarder sur les détails c’est digne de Joséphine ange gardien). Alors ils repartent ensemble et vivent une vie heureuse.

Pouah ! Quelle daube infâme ! Les petites remarques ironiques qui ponctuent le texte (surtout au début) sont parfois saillantes et l’effort de construction du texte permet à quelques moments de tenir le lecteur en haleine, mais c’est loin de compenser l’absence de corps de ces personnages flasques et insipides, limités tant en nombre qu’en épaisseur, vivant de petites choses d’une petite façon, au grand contentement de Foenkinos, chantre d’une nouvelle médiocrité s’il est chantre de quelque chose.

mardi 1 mai 2007

Un peu de science pour tout le monde, Claude Allègre, New York, 1er mai 2007

-
On dirait que Claude Allègre recommence le même livre tous les deux ans pour expliquer et re-expliquer les mêmes principes généraux de l’état de la science aux mêmes ignares et c’est très bien comme ça car mon cerveau rétif à ce type d’abstractions nécessitera au moins dix piqûres de rappel avant d’intégrer la structure de l’atome. L’ajout de nombreux schémas en couleur (même dans l’édition de poche) constitue la principale innovation. On se demande comment on s’en était passé dans les livres précédents. La méthode géniale mise en œuvre par Erathostène à Alexandrie un peu avant Jésus-Christ pour calculer le rayon de la terre fait par exemple l’objet d’un schéma lumineux : avec un puit et une obélisque ainsi que la mesure précise de la distance les séparant, il calcula que le rayon de la terre était de 4600 kms (contre 6400 en vrai), rien qu’avec le cosinus ! De même le schéma représentant un bateau vu de la côte projetant un rayon lumineux depuis la base du mat vers le haut où est attaché un miroir (ça y est, j’ai plus qu’à faire un schéma) est tout bête mais donne instantanément accès à la relativité du temps, si du moins on accepte l’étonnante hypothèse que la vitesse de la lumière, vitesse indépassable de l’univers, est une constante… Whaouuu ! C’est exactement le livre qu’il me fallait pour accompagner la randonnée en ski d’avril, histoire de disserter entre promeneurs de la chute comparée du plomb et des plumes, de scotcher pendant les longues marches hypnotiques et de rêver en contemplant les prodiges de la nature.

Finalement comme toujours j’ai cru en lisant découvrir deux ou trois choses fondamentales mais je ne retiens que des anecdotes triviales comme le fait qu’un boulet projeté à l’horizontal depuis une forteresse touchera toujours le sol au même moment, quelle que soit la puissance avec laquelle il est projeté… Bien peu de choses en définitive ou en apparence, mais reste le plaisir de lecture et de découverte, et en prime dans mon cas de redécouverte étant donné que j’en zappe 90% d’une fois sur l’autre. A propos de plaisir, Allègre s’en donne un peu trop en distribuant bons et mauvais points à tous les types ayant contribué de prés ou de loin à une découverte. C’est un peu pathétique parce que ça le renvoie de façon trop évidente à sa frustration (pourquoi eux et pas moi qui suis pourtant au moins aussi génial ? semble t-il geindre), tout en compliquant inutilement la tâche du lecteur qui essaie tout aussi pathétiquement de suivre et qui voudrait surtout savoir où on en est aujourd’hui (dans le but prioritaire de briller en société ?).