lundi 1 décembre 2008

Le père Goriot, Honoré de Balzac, Paris, le 1er décembre 2008

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Le Père Goriot ouvre le premier tome de l’intégrale de la Comédie humaine, vendue avec le Monde pendant 21 semaines consécutives par livraison hebdomadaire de 500 pages. C’est un bon produit d’appel ! Enfin pas le père Goriot lui-même, dont les lamentations sur ses deux ingrates de filles (Delphine, Baronne de Nucingen, et Anastasie, Comtesse de Restaud) agacent rapidement et finissent à la limite du supportable, si bien que le lecteur est soulagé quand il agonise enfin. Tout le reste est extraordinairement réussi, l’ambiance des dîners populaires à la maison Vauquer (où tous les mots finissent en « rama »), l’élégance des grandes dames du monde (dont la Comtesse de Beauséant est l’archétype), la gaucherie progressivement déniaisée d’Eugène de Rastignac, l’espoir provincial de sa famille, l’incarnation puissante de la révolte sociale dans Vautrin – Trompe la mort, la bonté amicale de l’apprenti médecin Bianchon, la grotesque radinerie de la Veuve Vauquer. Maîtrisant à la perfection la posture de chacun de ses personnages, Balzac, du haut de ses 36 ans, donne l’impression d’avoir tout vécu et tout éprouvé, l’ingratitude des enfants, la rage du provincial arrivant à Paris pour « parvenir », la belle société, le fond du pavé. Dès lors il peut raconter ce qu’il veut et enfiler les péripéties à sa guise, le récit est captivant. Seules quelques déclamations emphatiques traînent un peu en longueur. Les notes en bas de page sont spirituelles et très instructives : la plupart signalent des anachronismes (Balzac situe l’action en 1819 et ne cesse de mentionner des pièces de théâtre, des lieux, des faits-divers ou politiques postérieurs à cette année) et un certain nombre explicitent un néologisme en signalant qu’il a sans doute été inventé par Balzac. C’est ce dilettantisme tout détendu qui fait son charme. D’ailleurs l’écriture pour brillante qu’elle soit est loin d’être irréprochable.

Balzac démarre son livre en racontant raconter et incise quelques commentaires personnels de temps à autre sur la psychologie des personnages ou le rôle qu’aura tel ou tel événement dans sa vie future. Tout démarre à la maison Vauquer, rue neuve Sainte Geneviève (comme cela a été dit mille fois, Paris la puante et la magnifique est un personnage à part entière de la Comédie humaine, en tout cas de ce roman), dont on passe en revue un à un les sinistres pensionnaires, au nombre desquels sont Vautrin, le père Goriot et Eugène de Rastignac. Celui-ci, étudiant en droit à Paris depuis un an, commence peu à peu à gagner en ambition. Par l’entremise d’une lointaine cousine très en vue à Paris, la comtesse de Beauséant, il se rend compte que le père Goriot est le père de deux beautés parisiennes bien mariées : Goriot est en fait un riche négociant en grain qui a mis toute sa fortune dans la dot de ses filles et qui presque renié par elles s’est retiré à la maison Vauquer en soldant progressivement ses derniers avoirs pour répondre à leurs sollicitations régulières. Tricard chez les Restaud pour avoir imprudemment signalé qu’il était voisin de palier avec le père de la comtesse, Rastignac jette son dévolu sur Delphine avec l’aide de Goriot, ce qui contrarie les plans de Vautrin, qui voudrait voir Rastignac courtiser Victorine Taillefer, fille naturelle négligée par son millionnaire de père qui n’a d’autre enfant qu’un fils que Vautrin se fait fort de faire assassiner… Après quarante-trois aventures et rebondissements, dont l’arrestation de Vautrin trahi par la fourbissime et minablissime Mademoiselle Michonneau toujours flanquée de son pathétique Poiret, Rastignac enterre seul le père Goriat à Saint-Etienne-du-Mont et contemplant Paris depuis le cimetière, lance le fameux : « A nous deux maintenant ». Rastignac, tout travaillé qu’il est par son ambition, est loin de sa caricature sombre et amorale. C’est un vrai héros positif dans une société salissante, dont on se demande avec passion de quel côté il va tomber. Vite la suite…

vendredi 21 novembre 2008

Mignonne allons voir…, Marc Lambron, train Arras-Paris, le 21 novembre 2008

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Premier épisode des chroniques saint-simonienne de Marc Lambron autour de l’élection présidentielle de 2007, centré cette fois sur la « télévangéliste du Poitou », cette lecture prend pour moi une actualité particulière puisqu’elle est concomitante au congrès de Reims et à l’élection du premier secrétaire du PS, dans laquelle le suspense reste entier jusqu’à aujourd’hui, date du second tour décisif qui voit Martine Aubry affronter une Ségolène Royal toujours aussi incroyablement pugnace, populaire et illuminée. Sous la plume de Marc Lambron, viscéralement vieille droite réac, campé dans ses certitudes sur le bilan quasi criminel du mitterrandisme et dont le ton définitif rappelle ces dîners en ville dans lesquels Bayrou se fait traiter de social-traitre, Ségolène n’est finalement plus si antipathique. Avec son inconscient de droite (habitus décréta Bourdieu dès 1999 qui lui accorda un intérêt visionnaire) et son acharnement à faire fi de toutes les traditions du parti et des vieux croûtons qui l’incarnent dans une apologie de l’inculture politique et historique, son succès en dépit de sa nullité procure finalement un grand plaisir aux vieux ennemis de la gauche, pour qui elle révèle l’état de débâcle du socialisme, dernière scorie dégénérée d’un mitterrandisme déjà vicié au départ. Un peu comme pour Sarko, même si elle n’a aucune conscience de ce qu’elle fait, en quoi elle est dangereuse et imprévisible, elle a au moins le mérite de faire bouger des lignes tellement moisies qu’elles ne demandaient que ça. Le tome sur Sarko prend du coup un autre relief : ces deux-là participent du même mouvement amnésique de l’énergie contre la vieillesse radoteuse. Des bousculeurs pas encombrés de culture, peut-être utiles après tout, même s’ils envoient sans même le vouloir quiconque a lu trois livres dans le camp des radoteurs moisis…

Marc Lambron est toujours aussi parfait convive, multipliant les références savantes en s’efforçant à la légèreté, jamais aussi bon que lorsqu’il est vraiment fielleux, un peu comme Bigard qui n’est vraiment bon que lorsqu’il est vraiment vulgaire. L’emploi quasi permanent de l’imparfait, peut-être pour pouvoir être lu dans le futur, est cependant dommageable, car le texte gagne singulièrement en puissance dans les quelques passages rédigés au présent de l’indicatif, notamment dans le portrait de la France de 2006 au dernier chapitre, travaillée par le « fantasme du putsch » entretenu par « l’inégale rémunération de l’intelligence » (entre par exemple un agrégé et le « premier banquier d’affaire venu ») et la « peoplelisation du spectacle social » (« les patientes ascensions de l’école peuvent être court-circuitées, via les plateaux de télévision et les îles de la tentation, par des cervelles de noisette aux plastiques arrangées »). Bien qu’il brocarde si justement la novlangue ségolénienne pleine de « personnes-ressources » et de « territoires », Lambron se laisse gagner par le jargon rampant puisqu’il finit lui-même par employer, sans avoir l’air de s’en rendre compte, « pouvoir d’achat » là où « salaires » irait aussi bien. Elle finira par nous avoir tous !

samedi 15 novembre 2008

Hors de moi, Didier Van Cauwelaert, Paris, 15 novembre 2008

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Ecrit très gros et très court (une moyenne approximative de 10 mots par phrase) à la manière d’un synopsis pour téléfilm du lundi soir sur TF1, ce travail de tâcheron n’est finalement pas si antipathique parce que l’auteur n’a pas l’air de se considérer moins con que ses lecteurs. Il a retenu pleins de mots compliqués de ses investigations auprès de différents professeurs pour camper son personnage de botaniste se réveillant d’une semaine de coma avec un double dans les pattes qui lui a pris sa place, sa femme et tutti quanti. Il s’en remet à Muriel, la chauffeuse de taxi qui le conduisait lors de l’accident qui l’a plongé dans le coma (et dans la Seine, Véronique Genest serait parfaite pour le rôle du taxi) et après avoir bien élimé la corde de la mémoire démentie par la réalité et du « ah ben dis donc comment faire dans cette situation », Martin Harris retrouve subitement la mémoire au moment où les méchants remettent la main sur lui et l’emmène dans leur repaire : en fait c’était un tueur surentraîné chargé d’assassiner le président des Etats-Unis lors de sa visite à Paris (« ah ben dis donc ») et qui s’était malencontreusement blessé à la main quelques jours avant la date de l’assassinat. Il s’était enfui, craignant qu’on ne le supprime comme inutile et trop informé, avait été chargé par Muriel et poussé dans la Seine par ses poursuivants. Durant son coma, l’énorme quantité de Glutamate (whoa !) libérée par son cerveau asphyxié a permis au rôle de couverture qu’on lui avait inculqué par hypnose de concrétiser les souvenirs et de remplir les vides… Après avoir dénoncé le complot ourdi par la CIA en échange de sa liberté, il prend Muriel et ses deux enfants sous le bras, décidé à rester Martin Harris le botaniste, et va ouvrir une modeste pension dans les îles, sans doute au voisinage du bungalow où Van Cauwelaert nous pond sans stress les fruits gentillets de son imagination naïve en sirotant des margharitas…

C’est débile, grossier et sans doute rempli d’une montagne d’inepties scientifiques mais Van Cauwelaert démontre une certaine endurance de rythme et d’imagination. La plupart des rebondissements sont improbables mais si on le veut bien on peut se laisser porter. Les plantes reconnues comme témoins à un procès, les tomates qui remplacent l’eau par la musique, bon… Pourquoi pas après tout se complaire dans le n’importe quoi. Ce qui me fait un peu peur après ça c’est la confusion entre l’exact et le fantaisiste, un peu ce qui me retient (avec le snobisme) d’ouvrir le Da Vinci Code.

Un résumé du talent vulgaire de Van Cauwelaert me semble la scène où Martin se retrouve dans la salle de bain avec la fille de Muriel ; lui s’est renversé son verre à l’apéro et elle s’apprête pour sortir avec ses copines. Elle lui demande si sa mère lui plaît, puis se désape devant lui et enfile une robe. Touchante, dit DVC, cette façon de la fille de réveiller le désir pour sa mère en exposant son propre corps. Idée intéressante et racolage d’audimat dans le même mouvement, avec commentaire en sous-titre pour les malentendants.

mardi 11 novembre 2008

Bright lights, bright city, Jay McInnernay, Paris, le 11 novembre 2008

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Venant après les lourdauds précédents (Valéjo, Gore, Hemon), ce livre m’apparaît comme un bijou d’équilibre, de concision et de légèreté. Rien que du plaisir, un savoir faire jamais pris en défaut et quand même de l’épaisseur, du sang sur les murs. Ici la virtuosité se paie le luxe de la discrétion. Par exemple je ne m’aperçois que maintenant, en le cherchant pour résumer la trame, que le héros n’a pas de nom, ce que la narration constante à la 2nde personne du singulier a permis d’occulter. On se demande à la lecture quel est l’effet recherché par ce procédé : renforcer l’identification au héros, souligner le caractère introspectif de la crise existentielle qu’il traverse, unifier le ton du récit dans un registre détendu… Le fait que le héros n’ait pas de nom incite à privilégier la première hypothèse.

L’inconnu au bataillon enchaine les soirées new yorkaises en s’en foutant plein le pif avec son compère Tad Allagash pour oublier que son top model de femme, Amanda White, ramassée à Kansas City, l’a plaqué après un an de mariage. Les excès nocturnes finissent par lui coûter son poste de vérificateur de faits au New Yorker. Quand son frère Michael parvient enfin à le coincer chez lui, ils se mettent sur la gueule avant de se réconcilier, le jour anniversaire de la mort de leur mère, épisode que notre héros avait enfoui sous le tapis. Il admet finalement que son mariage était une simple erreur et rappelle Vicky, la fille bien croisée au milieu de livre. Ténu comme intrigue, rien d’extravagant. Mais on s’intéresse et on s’identifie, au point que j’ai failli pleurer dans le métro à la lecture des dernières conversations entre le héros et sa mère mourante.

jeudi 6 novembre 2008

L’espoir est une chose ridicule, Aleksander Hemon, Marakech, 6 novembre 2008

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Ce récit très confus auquel on ne s’intéresse que par bribe est composé de six ou sept points de vue différents donnant un aperçu fragmenté du parcours de Josef Pronek, bosniaque de Sarajevo émigré à Chicago en 1992.

On rencontre Josef Pronek par accident à la fin du premier récit, où l’on suit un autre émigré de Sarajevo dans son existence miséreuse et sa recherche désespérée d’un emploi. Le deuxième chapitre explore en narration extérieure la période sarajevienne de l’existence de Pronek dont l’occupation essentielle était de former d’éphémères groupes de blues rock. Le 3ème chapitre est consacré au récit par un étudiant américain d’un échange avec une université de Kiev au cours duquel il partage sa chambre avec Pronek dont il tombe amoureux sans tenter de le lui révéler. Pronek est alors décrit comme l’incarnation de l’insouciance juvénile et de la vigueur (hétéro)sexuelle. Le 4ème chapitre, très court et seul vraiment réussi, est une lettre de Mirza, resté à Sarajevo pendant le conflit, à son meilleur ami Pronek, dans laquelle il lui fait part des répercussions psychologiques qui lui restent de la guerre. On retrouve Chicago et une narration extérieure dans le chapitre suivant dans lequel l’existence de Pronek semble enfin prendre un tour favorable, ce qui se matérialise par l’emménagement avec Rachel, véhémente américaine idéaliste avec laquelle il vit une belle histoire d’amour. Mais finalement un soir après avoir raté l’assassinat d’une souris, il casse tout dans l’appartement, dit des choses horribles à Rachel et on ne donne pas cher de la suite des aventures de Josef Pronek. Le dernier chapitre est une divagation à clés à la première personne façon « Usual suspects » dans laquelle on retrouve tous les noms propres évoqués précédemment mais dans des emplois différents. Josef Pronek est alors un émigré ukrainien qui devient mafieux et agent triple à Shangaï entre les deux guerres mondiales.

De deux choses l’une : soit c’est un chef d’œuvre absolu (ce que tente de faire accroire la notice biographique présentant Hemon, 38 ans lors de la publication de ce qui est son deuxième livre) comme un prodige « sélectionné par The Observer comme l’un des vingt-et-un écrivain dont on parlera au 21ème siècle), soit c’est une merde prétentieuse. Je pencherai de façon assez nette pour la 2nde possibilité même si quelques subtilités m’ont sans doute échappé. Ça n’a ni queue ni tête, Josef Pronek est parfois sympathique et touchant mais l’unité du personnage d’un chapitre à l’autre est vraiment défaillante. Enfin ce titre est impardonnable (mais c’est Nowhere Man en anglais). Tout n’est pas à jeter cependant, les personnages de Rachel et Mirza notamment sont très bons mais la plupart du temps on s’ennuie ferme et la fin est ulcérante, parachevant la vanité de la démarche.

Finalement je peux me réjouir que la chaîne de livre par laquelle celui-ci est arrivé jusqu’à moi n’ait aucun succès. 2 livres sur les 36 promis (celui-là et un Van Cauwelaert prometteur dans le bassement populaire) sont arrivés en tout et pour tout et, sous réserve de vérification exhaustive, deux merdes. C’est très peu et c’est bien.

samedi 1 novembre 2008

Urgence, Planète Terre, Al Gore, Paris, le 1er novembre 2008

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Litanie d’injonctions moralisatrices entrecoupée d’arguties sans preuve, recourrant sans modération à la première personne du pluriel (« le monde court à sa perte et nous ne faisons rien », How can we sleep while our beds are burning disait Peter Garett), invitation finalement à aller détruire la planète ou ce qu’il en reste avec application, si l’on avait vraiment du moins le sentiment que ça chagrinerait l’auteur… Au-delà de l’imposture marketing, il s’agit d’un texte chiant à lire au-delà du tolérable, tant à cause du ton de culpabilisation permanente et des manipulations argumentatives de bas étage (l’analogie à l’incidence d’un grain de sable sur un tas de sable) que du fait de la lenteur de cheminement visant à pouvoir être compris du dernier mongolien. Pour une fois j’ai lu en diagonale assez espacée et ça m’a quand même pris un temps fou tellement j’étais contrarié à chaque page…

Je me sens assez proche de la suspicion de Claude Allègre face à l’unanimisme des chantres de l’alerte verte. D’abord j’ai le sentiment que l’on surestime par anthropocentrisme l’impact de l’homme, bon ou mauvais, sur son environnement : la calotte glaciaire n’a pas attendu l’automobile pour refluer depuis la bonne ville de Lyon qu’elle couvrait paraît-il voici 10.000 ans. Ensuite écologie me semble souvent rimer avec nostalgie, à déplorer le temps qui passe : ah si tout pouvait se figer, le temps s’arrêter, si nous pouvions ne pas disparaître… Enfin notre masochisme naturel (me voilà moi aussi à la première personne du pluriel) trouve à s’employer dans l’angoisse écolo, d’autant qu’une foule d’intérêts économiques, politiques ou médiatiques encouragent profitablement ce penchant. C’est clairement là qu’Al Gore se situe, dans la lamentation politiquement, médiatiquement et financièrement intéressée (mon père m’afflige, qui m’a offert le livre, de tomber dans ce genre de panneau).

Pour autant la position de Claude Allègre n’est-elle pas elle aussi dictée par une passion personnelle, celle du seul contre tous ? La méfiance envers l’injonction de la terreur environnementale ou les illusions collectives n’épuise pas la question de la gestion de la planète. Et même si le préchi précha d’Al Gore est repoussant, c’est quand même une occasion (bien trop longue et ennuyeuse) de se pencher sur le sujet. Ayant enfin refermé ce prospectus publicitaire, je me suis retrouvé, hésitant au supermarché entre ampoule à gaz et ampoule à filament, à faire pour une des premières fois de ma vie un choix de vertu écologique, clairement sous l’influence du passage du livre d’Al Gore sur le sujet… Il aura donc au moins servi à ça. Il y a comme ça à la fin du livre quelques pistes concrètes éparpillées parmi un flot de généralités sur la nécessaire prise de conscience mondiale préalable à une véritable révolution de nos comportements. Depuis 1991 qu’il écrit et réédite ce livre, Al a eu le temps de collecter quelques propositions, mais quand même quand on y songe quelle médiocrité ! Il était déjà à fond sur le créneau depuis au moins dix ans quand il est devenu vice-président des Etats-Unis et même avec cet épisode au milieu, il a réussi à passer 25 ans sans sortir, à ma connaissance, de l’incantatoire : disqualifié !

lundi 13 octobre 2008

Ouest, François Valéjo, Paris, le 13 octobre 2008

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Pour une raison oubliée, j’attendais monts et merveille de ce livre qui se révèle anodin. Pas mauvais mais d’une molle fantaisie, étrange mais pas dérangé.

Un type ressort un cliché d’un aïeul garde-chasse avec son clebs qui ressemble étrangement à une photo d’Abou Graib. C’est pourquoi il entreprend d’en romancer l’histoire : un Lambert garde la chasse du Baron L’Aubépine au château des Perrières dans un Ouest tellement perdu qu’on en taira le nom. À la mort du baron père, son républicain et renégat de fils prend possession du château et des Lambert, seuls domestiques à n’avoir pas fui son arrivée. Fidèle à sa piètre réputation, le baron fils ne prête aucun intérêt au château, sauf comme chambre d’écorchage pour filles de mauvaise vie, et s’enfuit à Paris pour prendre part à la révolution de 1848. Il en revient après avoir échoué à y prendre une part active et s’installe pour de bon au château avec une parisienne, Berthe François, qui disparaîtra mystérieusement après une de ces nuits de course poursuite au rasoir dans les couloirs du château. Les Lambert croient savoir que la Berthe François moisit dans l’étang mais restent cois pour ne pas risquer leur place. Bizarrement c’est l’Eugénie qui a l’idée de séquestrer le baron lorsqu’il se met en tête de partir kidnapper Victor Hugo à Guernesey. Ce sera la fin de l’étrange amitié entre Lambert et le baron, fâché d’être lâché et séquestré, et qui finira par dire à Lambert qu’il a possédé sa fille Magdeleine à laquelle il n’a qu’arraché les vêtements. Pour finir à l’occasion d’une chute de cheval Lambert lâche ses chiens sur le baron. On fait assassiner la meute et Lambert devient fou, poursuivi par des chiens imaginaires. Fin de cette trépidante aventure à laquelle on ne s’est jamais vraiment intéressé.

L’effort stylistique pour rendre les raisonnements simples et la lâcheté toute populo du Lambert fait parfois mouche mais la narration se noie en décrochant vers l’intériorité d’autres personnages (le baron, Berthe François, Magdeleine, …) ou en repassant en mode extérieur. Et puis ils sont presque tous trop bêtes et désarticulés, c’est contrariant à la fin. Sans compter qu’on ne retrouve pas l’esprit de l’époque, le « juste milieu » stendhalien, mangé par l’anachronisme de ce baron fou au sadisme très actuel. Par quelle incompréhensible circonstance cette tentative boiteuse sans queue ni tête a t-elle trouvé son nombreux public lors de sa parution ?

dimanche 7 septembre 2008

Dernier inventaire avant liquidation, Frédéric Beigbeder, Paris, le 7 septembre 2008

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Un producteur de télévision génial a eu l’idée de sonder 6.000 français à l’été 1999 pour leur demander d’établir, parmi une liste de 200 suggestions, leur top 50 des livres du 20ème siècle. Pour parachever cet audacieux concept, c’est à Frédéric Beigbeder qu’on a demandé de commenter chacun des 50 lauréats pour autant d’émissions diffusées sur Paris Première au tournant du siècle (et du millénaire mais élargir trop le concours aurait probablement angoissé le téléspectateur et moins collé au positionnement urbain chic de Paris Première à l’époque). Beigbeder, qui ne connaît pas la honte ou s’en délecte, n’a évidemment pas hésité à intégrer cette récréation télévisée dans son œuvre officielle. A quand la publication en grande pompe de l’anthologie de ses chroniques dans Voici (souvent excellentes au demeurant) ?

L’amusant, outre le style primesautier et égotique de FB, est qu’une bonne moitié des titres entrant dans le top 50 n’ont rien à y foutre, ce que Beigbeder relève lorsque le cas se présente avec franchise et mansuétude. C’est un peu comme pour les enquêtes sur la vie sexuelle des français : même lorsque les réponses sont anonymes on coche les cases en espérant ne pas avoir, fut-ce à ses propres yeux, le rôle du blaireau, ce qui débouche sur un énorme blaire statistique. Le hussard sur le toit ou Le nom de la rose figurent ainsi autour de la 20ème place, l’imbitable être et le néant sartrien est en 13ème position. Beigbeder va jusqu’à attribuer à l’attachement populaire pour l’adjectif kafkaïen le 5ème rang obtenu par Le procès. En attendant le classement recèle seulement deux livres parus après 68 (La vie mode d’emploi de Pérec en 78 et Le nom de la rose en 81) et c’est évidemment un exercice imbécile.

Restent le plaisir de la conversation beigbederienne, horripilant à souhait à ramener sa désarmante petite fraise à tout bout de champ mais mettant dans le mille régulièrement (« ouverture de parapluie » en préambule, le fielleux Marc Lambron, …), et la décision à peu près ferme de me lancer enfin dans La recherche du temps perdu cet hiver. Parmi les 49 autres incontournables du siècle, mis à part la vingtaine que j’ai déjà lus, cet inventaire suscite peu d’envies alors que c’était l’objectif déclaré du Beig. Ne s’agit-il pas plutôt d’une excuse pour pouvoir parler littérature à partir de livres imposés, donc en se prémunissant du risque d’ennui inhérent au concours d’éloges (auquel Djian échappe cependant dans ses Ardoises) ?

vendredi 5 septembre 2008

Le Dahlia noir, James Ellroy, train La Rochelle – Paris, 5 septembre 2008

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Captivantes et bouleversantes de la première ligne de la préface (« vivante, je ne l’ai jamais connue, des choses de sa vie je n’ai rien partagé ») à la dernière phrase de la postface, ajoutée en 2006 à l’occasion de l’adaptation cinématographique de De Palma, ce sont vraiment comme l’annonce la dédicace à sa mère, des « pages d’adieu aux lettres de sang ».

L’enquête de l’agent du LAPD Bucky Bleichert sur le meurtre de Betty Short à Los Angeles en janvier 47 transfigure celle de James Ellroy sur le viol et le meurtre non élucidés de sa mère Jean Hilliker Ellroy, à LA en 58, qu’Ellroy annonce n’avoir pas pu attaquer de front à cause de ses pulsions incestueuses. Il avait 10 ans en 1958 et était troublé par la sensualité de sa mère divorcée, qu’il avait surpris au lit avec d’autres hommes et dont la discipline stricte contrastait avec la permissivité paternelle pour lui donner le rôle de méchant / désiré du couple parental.

L’histoire commence avec la formation de la paire Bucky Bleichert / Lee Blanchard, deux policiers anciens boxeurs que des huiles ont l’idée de réunir dans un combat pour faire remonter la cote du LAPD et obtenir une hausse du budget lors d’un référendum local qui a lieu juste après. Le retentissement populaire du combat permet le succès du référendum et malgré sa défaite, Bucky obtient une promotion inespérée : d’îlotier il devient inspecteur en tandem avec Blanchard. Les deux collègues deviennent instantanément les meilleurs amis et forment avec Kay, la compagne platonique de Blanchard, une triade inséparable qui nage dans le bonheur. C’est alors que survient le meurtre de Betty Short, 22 ans, retrouvée coupée en deux, les seins charcutés et un sourire élargi au rasoir, sur un terrain vague à l’angle de la 39ème et Norton.

Suit alors le récit circonstancié de deux ans et demi d’une enquête très politique (le vice procureur Loew veut se servir de l’affaire comme tremplin pour sa candidature républicaine aux prochaines élections ; au départ plus de 100 hommes sont mobilisés sur l’affaire) et aux multiples chausses trappes, qui provoqueront notamment la fuite au Mexique de Lee et son assassinat, suivi du mariage de Kay et Bucky, puis la radiation de Bucky du LAPD, ce qui ne l’empêche pas de remonter la piste de la famille Sprague qui a causé la perte de Betty Short.

L’intrigue elle-même est sans doute un peu alambiquée, peut-être pas pour ce qui concerne Madeleine / Emett Sprague mais plutôt pour ce qui relève de Ramona Sprague, qui s’avère finalement la meurtrière dans un énième retournement dont on peut se demander s’il était bien nécessaire (en même temps, peut-être le fait qu’une incarnation de mère soit à son tour bourreau est-il très signifiant venant d’Ellroy ?). Mais l’enquête dans son ensemble est fascinante dans sa densité et la multiplicité de ses ressorts : politique, psychologie, choix de carrière, affinités et détestations entre les enquêteurs, jeux de séduction et d'intimidation avec les témoins et les suspects, effets médiatiques avec toute une floppée de de tarés qui se dénoncent en espérant un instant de célébrité (et on est qu’en 1947 !), relation amoureuse enfin et surtout puisque c’est avant tout l’histoire de la rencontre posthume de Bucky et Betty. L’enquête révèle rapidement une coureuse à moitié cinglée, qui tapinait occasionnellement en attendant son heure de gloire en tant qu’actrice à Hollywood. Mais pour Bucky c’est surtout une fille bonne et naïve qui cherchait l’amour avec obstination.

D’une écriture magnifique d’âpreté, extraordinairement traduite avec beaucoup d’argot innovant mais la plupart du temps compréhensible (« sans charre », michés et talbins sont légions), la narration est cinématographique (beaucoup de scènes d’action, de pifs et de pafs) et regorge de fesses et de violence, avec des passages à la limite du soutenable sur Betty Short mais aussi sur d’autres épisodes du quotidien sordide des flics du LAPD.

La morale de l’histoire semble tenir pour Ellroy dans le « Cherchez la femme » de Blanchard à Bleichert mais je ne suis pas sûr de bien saisir. Peut-être en parlerai-je à E. qui m’a offert ce livre qui semble compter beaucoup à ses yeux. Enfin l’enthousiasme d’Ellroy dans la postface pour l’adaptation cinématographique globalement ratée (même si c’était une gageure et si certains passages sont magnifiques) réveille une accusation de putasserie, peut-être en lien avec le caractère thérapeutique du livre, ou peut-être simplement mercantile : on est clairement dans l’autopromotion, un peu semble t-il comme à la sortie du livre, où Ellroy confesse tout seul qu’il a tout axé sur le parallèle Betty Short / Jean Ellroy. L’auteur comme le lecteur se retrouvent sur une corde raide fascinante, à fictionner sur du matériel humain à ce point intime et tragique, et à utiliser sans retenue ce ressort pour accroître la tension dramatique.

lundi 1 septembre 2008

Le charme des liaisons, Madeleine Chapsal, Niort, le 1er septembre 2008

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Convié il y a quelques années à une fête chez une collègue de travail, j’étais tombé en admiration devant son imposante bibliothèque uniquement composée d’Arlequins. Je lui en avais emprunté un, pour voir, une histoire de châtelaine post adolescente aux amours contrariés qui m’avait si bien pris que je l’avais dévoré en une nuit à peu prés blanche. L’épaisseur psychologique des personnages notamment m’avait surpris et impressionné. Ce nouvel emprunt à la même bibliothèque de référence fait suite à quelques boutades fines sur son titre équivoque. Le bouquin traînait en effet nonchalamment abandonné depuis quelques jours sur le bureau de cette femme mariée.

Bien qu’elle en vantait les mérites en connaisseuse, il est tout à fait désolant. Trois couples bourgeois aménagent comme ils peuvent des mariages qui s’étiolent après 10 à 20 ans de vie commune : Catherine est l’héroïne principale, abandonnée sans une explication par son mari Jean, qui revient deux ans après lui apprendre qu’il la trompait avec Béatrice, une de ses bonnes amies un peu mangeuse d’hommes et négligée par son mari Maurice, tout comme Hélène la troisième copine qui s’est mariée amoureuse mais ne reconnaît plus son Henri, accaparé par sa carrière. Jean revient, donc, mais entre temps Catherine s’est acoquinée de Maxence, un bellâtre ténébreux qui rend ses copines jalouses et déclame à tout bout de champ des tirades pompeuses et dramatiques sur le sombre destin de l’humanité et de la planète terre. Après quelques tergiversations et un petit coup de rappel révélateur, Catherine dégage son mari inconséquent et s’éloigne au bras de Maxence pour une relation enfin mature.

Le ton est globalement niais, les personnages caricaturaux et plats (au point de confondre régulièrement les couples Henri/Hélène et Maurice/Béatrice, à chaque fois des femmes oisives délaissées pour la carrière de Monsieur, d’ailleurs pas une femme ne travaille dans ce brûlot progressiste) et le récit mal ficelé : des incohérences, des redites, des erreurs techniques affligeantes… Mamie Chapsal s’essaie à l’amour au temps des téléphones portables et d’internet mais on sent que c’est de la vieille école : pour elle apparemment SMS et texto ne sont pas la même chose et personne ne l’a informé que seuls quelques dinosaures doivent encore se débrouiller sans l’affichage du numéro appelant ; cela dit on comprend là à quel point toutes ces facilités techniques empiètent sur le mystère de la romance (dans son acception chapsalienne tout spécialement, sinon c’est juste un charme différent et pas mal de complications supplémentaires envisageables…).

L’amusant est que j’ai entamé ce récit sur le chemin des Portes-en-Ré où se déroule l’intrigue. Même si le nom du village Rétais n’est pas cité, il m’a semblé reconnaître la Bazenne (et ses bourgeoises). L’avantage de cette perte de temps est qu’on en perd peu. Je l’ai fini et résumé avant d’arriver.

jeudi 28 août 2008

Gandhi, ou le réveil des humiliés, Jacques Attali, train Poitiers - Paris, le 28 août 2008

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Il m’aura fallu près de deux mois pour venir à bout de ce pavé monotone, offert en parallèle à F. et à moi par mon père à Noël. Peut-être F. tient-il le rôle de l’extrémiste musulman, moi celui de l’extrémiste hindou, et papa celui de Bapu qui tente de nous réconcilier en suscitant le dialogue. La lecture est vraiment assommante, énumération des patronymes à rallonge (je cite pour l’exemple à la page 472 : Sri Hari Singh Indar Mahendra Sipar-i-Sultanat) venus converser aimablement avec Gandhi sur la soixantaine d’années qui séparent ses débuts comme avocat en Afrique du Sud de son assassinat à Dehli au début de l’année 1948 par un ultra hindou, Naturam Godsé.

Il n’y a aucune mise en perspective, peu de hiérarchisation des faits et pas même un semblant de crescendo dramatique. Situer qui est qui est plus ardu que dans un roman russe. Il semble qu’Attali ait cherché à se prémunir contre toute accusation de dilettantisme en faisant preuve de la plus grande exhaustivité et de la plus grande précision, mais moi je l’accuse ce faisant de ne pas faire son premier taffe, qui est de rendre le lecteur intelligent (sans même parler d’ambition littéraire, pourtant pas incompatible avec une biographie aussi précise soit-elle).

Le projet d’Attali tel qu’il l’expose dans les premières pages du livre, est pourtant alléchant : relater la vie de Gandhi en s’écartant de tout apologétisme. Il n’obère pas le caractère parfois scandaleux du comportement de Gandhi qui a toute sa vie été travaillé par une libido dévorante, dont le contrôle plus ou moins couronné de succès semble au fondement de sa théorie de la non-violence. Il couchera ainsi toute sa vie, et jusqu’à sa mort à 78 ans, nu à côté de très jeunes filles, en se blâmant publiquement au réveil lorsqu’il relevait des traces de pollutions nocturnes. La sexualité et l’alcool étaient proscrits dans ses ashrams, ce qui paraît presque intolérant aujourd’hui. Il luttait également contre l’importation de tissus étrangers et militait contre le progrès technique, souhaitant le retour à une économie agraire dans laquelle les machines se limiteraient au khadi, le petit métier à tisser indien, auquel dans son monde idéal chacun devait quotidiennement trois heures. Il rejetait aussi la médecine et la viande. C’était un militant nationaliste, qui a lutté en Afrique du Sud pour les droits des indiens en se désintéressant de ceux des noirs et une fois revenu en Inde devint une figure du congrès et de la lutte contre l’occupant anglais. Sa particularité est qu’il ne cherche pas seulement à remplacer la domination anglaise par une domination indienne, c’est le modèle occidental qu’il souhaite rejeter, notamment le développement technique et économique, qu’il relie sans le dire explicitement à la violence. Mais plus que l’indépendance, dont il a haté l’avènement par des combats plus ou moins réussis (la marche pour le sel, les campagnes de désobéissance civile pacifique visant à engorger le système pénitentiaire de l’occupant, …) et marqués à la fois par une grande naïveté et par d’incessants allers-retours par la case prison, c’est dans la lutte contre la partition de l’Inde qu’il aura vraiment révélé toute sa dimension. En trois ou quatre jeûnes (dont le dernier résultait radicalement d’une préférence pour la mort plutôt que d’assister aux massacres religieux), il interrompit prodigieusement des engrenages de tueries. Mais même après le dernier jeûne, relayé dans tous les journaux comme le grand suspense national et à la fin duquel une euphorie générale s’empara du pays, les massacres reprirent rapidement et la violence l’emporta.

Il me semble que comme pour Jésus on laisse souvent de côté la radicalité du message non-violent pour n’en retenir qu’une gentillesse fade. Le mérite de ce livre est de rappeler ce que la non-violence implique, c’est-à-dire le renoncement à toute une partie de ce qu’est la nature humaine dans un effort qui revient après tout à retourner la violence contre soi-même. Pour Attali, la leçon de Gandhi c’est qu’il n’est pas souhaitable d’acquérir quoi que ce soit par la violence, car la violence que génère la violence annule tout gain (bien mal acquis…). Mais n’y a t-il pas quelque chose de plus profond à creuser dans l’esthétique du renoncement et la mystique de la contrainte, avec en arrière fond un puissant ressort sexuel, qui transparaissent dans l’idéal non-violent de Gandhi, tel qu’Attali en conte sans fard la mise en œuvre. Sans doute y a t-il aussi beaucoup d’hindouité dans Gandhi, ou beaucoup de Gandhi dans l’Inde. Peut-on rapprocher l’étrange contraste entre le poids (démographique, géographique, économique) de l’Inde et sa position en retrait des tumultes du monde, et le renoncement à toute ambition matérielle que porte la non-violence de Gandhi ?

jeudi 7 août 2008

Une exécution ordinaire, Marc Dugain, Belfast, le 7 août 2008

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Après la 1ère guerre mondiale et l’Amérique du McCarthysme, Dugain poursuit son exploration des monstres historiques du 20ème siècle en s’attaquant cette fois à l’Union Soviétique, ou plutôt à la Russie éternelle.

Le récit démarre avec un Staline fort bien rendu mais s’épanchant de façon invraisemblable avec le premier venu, véritable petit père des peuples plein d’attentions pour chacun et dans le même temps assassin à grande échelle, délirant et dépourvu de tout scrupule à l’égard de la vie humaine, la lointaine comme la toute proche. On suit ensuite le parcours de Platov, alias Poutine, d’abord comme agent du KGB à Berlin, qui se sort avec succès du test imaginé par ses supérieurs qui préparent déjà l’après-URSS, ce qui lui laisse des parrains déterminants au sein des services secrets, à la mairie de Saint-Petersbourg, puis à la tête du FSB (qui a succédé au KGB) et enfin au Kremlin au moment de l’épisode du naufrage de l’Oskar, alias le Koursk. Parallèlement à la grande histoire, Dugain intercale celle de Pavel, russe d’une cinquantaine d’années, né en Sibérie après que sa mère urologue a subi le désastre d’être choisie par Staline pour soulager les douleurs que lui causait sa mauvaise circulation sanguine. Ce dernier exige son divorce immédiat pour garantir le secret et, afin de s’en assurer vraiment, fait torturer longuement le mari. Le couple s’est reformé après la mort de Staline, s’est exilé en Sibérie où Pavel est né quatre ans après. Son meilleur ami Anton et son fils Vania font partie des disparus du Koursk et l’on suit son deuil à travers sa vie quotidienne.

Le Koursk semble avoir été coulé par l’explosion d’une de ses propres torpilles et s’est échoué sur un banc de sable peu profond. Une vingtaine de marins, dont Vania et Anton, sur les 120 embarqués, ont survécu à l’explosion et auraient pu être sauvés, mais Poutine n’a accepté que l’on se porte à leur secours qu’une fois qu’il était à peu prés acquis qu’il était trop tard, pour que la version officielle ne soit pas embarrassée par les témoignages des survivants. Dugain expose tous les dérèglements d’un pays livré à une corruption endémique et d’un Etat sans égard pour les existences individuelles, ainsi que les dernières heures du Koursk, avec un égal talent pour restituer la complexité, que ce soit celle d’une société humaine ou celle de la mécanique d’un sous-marin à propulsion nucléaire. Il ne s’agit pas toujours de grande littérature mais de nombreuses phrases bien balancées sont riches en concepts et constructions théoriques, ce qui tiendrait presque lieu de style. On est moins proche du chef d’œuvre qu’avec La malédiction d’Edgar, très ramassé sur un personnage, ou La chambre des officiers, plus sentimental et moins cynique, mais le drame de l’homme perdu dans l’Histoire est toujours aussi réussi. Il me revient enfin que ce livre est celui dont François Bayrou avait choisi de recommander la lecture lors du Grand Journal de Canal+ au moment de la campagne présidentielle de 2007. Un excellent choix en l’occurrence : plaisant, instructif et convenable, quoique engagé et courageux.

mardi 1 juillet 2008

La bible de néon, John Kennedy Toole, train Reims-Paris, le 1er juillet 2008

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Très étonnant et admirable que ce texte ait été écrit dans les années 50 par un gosse de 15 ou 16 ans, qui donnera peut-être vers 25 ans La conjuration des imbéciles avant de se suicider à 32 en branchant une rallonge sur son tuyau d’échappement, ensevelissant ainsi une œuvre qui aurait été dingue.

C’est l’histoire de l’enfance de Dave dans une petite ville bigote et pauvre près de la Nouvelle-Orléans. Du malheur en stock : Dave n’est pas très dégourdi, son père paume son boulot puis meurt à la guerre en Italie, rendant folle sa mère, sans que le moindre pote ne passe jamais dans le décor lugubre que constitue la maison sur la colline dans laquelle la famille est reléguée depuis le chômage du père. La seule âme bonne est la Tante Mae qui se réfugie auprès de sa sœur à la fin de sa pathétique carrière de chanteuse de cabaret et qui mettra des années à faire taire les médisances sur son accoutrement, juste le temps que lesdites médisances se reportent sur la folie de la mère qui ne quitte plus l’impossible potager sur argile du père, que la guerre avait fini par attendrir. Pour finir Mae abandonne Dave avec sa mère gâteuse qui le jour même agonise dans l’escalier après s’être pété la gueule. Sur ces événements, le pasteur se ramène pour emmener la mère à l’hospice et Dave le bute d’un coup de fusil. A la fin (qui est aussi le début), il part en train vers de nouveaux horizons, aussi loin qu’il peut aller.

Cette fin trop précipitée est peut-être le seul défaut sur le plan littéraire. Le reste du texte est excellemment tenu, centré sur le huis clos de la petite ville sur laquelle le pasteur fait régner une bigoterie oppressante. Il ne se passe rien pour Dave qui voit ses camarades d’école aller à l’université et sortir avec des filles tandis qu’il fait le commis à l’épicerie. Du coup le moindre événement sentimental prend des dimensions gigantesques et exagérées : il sort une fois avec Jolynne, une jolie fille d’une autre ville qui rend visite à son grand-père, et l’embrasse dans les collines. Quand elle vient lui annoncer qu’elle repart, il la demande en mariage et elle s’enfuit en courant.

C’est quand même dingue, à 15 ou 16 ans, d’avoir un discours aussi structuré et mesuré à la fois sur la ségrégation raciale, la bêtise collective et l’horreur des masses. Rien que de l’extrêmement crédible alors qu’il ne lésine pas sur la cruauté… Le titre, le même qu’Arcade Fire, laisse songeur : peut-être ont-ils lu ce livre ou peut-être est-ce très commun de mettre des bibles en néon sur les églises dans l’Amérique profonde ? C’est toujours un endroit où il me reste à aller, me disais-je en lisant ce livre sur la piscine terrasse de la sélecte Soho House de New York…

mercredi 18 juin 2008

La belle vie, Jay McInerney, Paris, 18 juin 2008

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La suite des aventures de Russell et Corinne Calloway fait encore davantage que l’épisode précédent, 30 ans et des poussières, penser à une improbable rencontre entre Bret Easton Ellis et la collection Arlequin.

Autour du coup de foudre de Corinne et Luke, un banquier en crise existentielle qui vient de se retirer prématurément des affaires et tombe sur Corinne, qu’il prend pour un ange, au sortir de 24 heures de déblaiement du World Trade Center qui est passé à un cheveu de lui tomber dessus, McInerney retrace le parcours de nos deux héros durant leur trentaine et en particulier l’épisode de la procréation de deux jumeaux, Storey et Jeremy, à partir des ovules d’Hillary, la sœur de Corinne.

Comme toujours pour ainsi dire, ou du moins à chaque fois que McInerney se penche sur la situation, le couple bat de l’aile. Corinne essaie de se débrouiller avec son sentiment de culpabilité (d’avoir accouché prématurément, d’avoir arrêté de bosser pour avoir des enfants, d’avoir défié les lois de la nature en recourant aux ovules d’Hillary…) tandis que Russell vit sa vie d’égoïste maniéré et content de lui. Peu à peu Luke et Corinne prennent conscience, tandis qu’ils passent tous deux leurs nuits à travailler bénévolement à la cantine de Jerry pour encourager à coup de sandwichs les sauveteurs, pompiers, gardes nationaux et autres policiers qui s’affairent sur Ground Zero, du coup de foudre qui les a frappé le 12 septembre. Leur histoire idyllique, tant sur le plan sentimental, culturel que sexuel, les décide à quitter leurs conjoints respectifs, qui ont tous deux été préalablement convaincus d’adultère et font profil bas, et à fonder une nouvelle famille, ce qui est quasi fait au tout dernier chapitre du livre, quand tout capote. Le premier et seul mensonge entre eux aura été fatal : ils se tombent dessus en compagnie de leurs familles à la représentation de Casse-Noisette alors que Corinne avait prétendu qu’elle recevait des amis, ne souhaitant pas parler à Luke de cette sortie familiale. Est-ce de voir leurs familles ou est-ce ce que ce mensonge révèle ou pour une autre raison, à l’instant précis de leur rencontre au théâtre les plans d’évasion se trouvent annulés et chacun sait qu’il retournera à sa vie. McInerney se garde bien cependant de donner le fin mot de l’histoire.

L’essentiel du livre étant consacré à une romance idyllique, ça dégouline parfois un peu, en dépit de tout le talent de McInerney, et la succession de grands thèmes (le 11 septembre, la sexualité en famille – Luke aborde enfin avec sa mère l’épisode où enfant il s’était retrouvé coincé dans le placard de la chambre parentale tandis qu’elle baisait avec son amant, ce juste après être tombé sur sa fille de 14 ans en train de sucer un camarade dans sa chambre -, la procréation à tout prix, le désenchantement du banquier, les mauvaises raisons pour lesquelles on se montre charitable – la surpopulation des bénévoles du 11 septembre est très drôle et bien rendue -), donne parfois un effet un peu artificiel. Mais c’est extrêmement bien fait, avec une grande rigueur scénaristique (voir les très nombreuses allusions à des éléments de 30 ans et des poussières qui font chaque fois l’objet d’un bref résumé, dont on demande s’ils permettent à ce second tome des aventures des Calloway de s’autosuffire) et un grand plaisir de lecture qu’on aurait tort de bouder même si c’est un peu trivial.

mardi 3 juin 2008

Et bien dansez maintenant…, Marc Lambron, Paris, 3 juin 2008

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Acheté à cause de l’enthousiasme unanime des critiques du Masque et pour écluser un bon d’achat, ce bavardage léger et érudit sur le cas Sarko et sa première année de présidence laisse une impression mitigée ; c’est plaisant et brillant mais sans parti pris à moins que le message ne soit trop subtil.

Lambron alterne les récits de dîners ou de rencontres avec des gens connus ou anonymes, et des résumés de l’année écoulée. Sa grande spécialité consiste à affubler les personnes de sobriquets imagés : Villepin est un lama courroucé, Sarkozy le Don Corleone du 9.2., Bayrou un pyromane en pataugas… Lambron se targue de saisir une époque, une personnalité, un journal (les Inrocks sont le bulletin officiel des révoltes à prix vert) et lance des flèches caustiques et distinguées à chaque page, toutes les huit références érudites environ (le lecteur moyen en repère une ou deux ce qui flatte son orgueil mais lui met la puce à l’oreille sur toutes celles à côté desquelles il est passé sans les voir).

Il y a quelques images très réussies, par exemple BHL qui conseille successivement Sarko et Ségo non par traîtrise mais par ce qu’il jouit de faire la dame sur un jeu d’échec, et certaines constructions théoriques ne sont pas dénuées d’intérêt, notamment sur le silence mutique qu’ont en commun les stars de l’époque (Cécila Sarkozy, Kate Moss, Victoria Beckham), qui prennent le parti de se taire pour être mieux image. Donc c’est badin et plaisant, mais ça ne prend pas de direction définie. Par ailleurs s’agissant de l’année politique écoulée on n’apprend à peu près rien. On se demande pourtant si une telle chronique peut vieillir, ce serait son seul intérêt : rendre compte de l’air de temps de 2008 à des lecteurs de 2043. Enfin pour ce qui est de balancer sur les coulisses de la haute et les puissants de ce monde c’est un peu décevant de prime abord, mais finalement rendu dans le ton de persiflage cruel et permanent qu’on imagine être celui de la société de cour.

samedi 24 mai 2008

Train fantôme, Anonyme, Paris, 24 mai 2008

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C. a laissé la semaine dernière sur mon ordinateur le fichier word du 5ème ( ?) livre de son ex., tout juste achevé et encore à publier. A plus d’un titre je m’empressai de le lire, d’abord à l’écran puis en version imprimée, ce qui confirme que la lecture à l’écran est un survol. C’est l’histoire d’un fou (« l’insensé de Saint-Fargeau ») qui s’appelle comme moi (comme vous ? non comme moi). C. me l’avait plus ou moins annoncé mais ça m’a quand même vexé au début. En plus il démarre en expliquant qu’il ne donnera pas le nom de la femme qui l’a rendu fou pour ne pas fausser notre jugement, ni le nom de son meilleur pote pour les mêmes raisons, et après il balance joyeusement mon prénom qui n’est même pas le sien. En même temps c’est aussi celui de son frère (en vrai) et à part le type transi d’amour faisant un boulot à la con, la comparaison avec moi s’arrête là.

Donc c’est l’histoire d’un type qui vend des cigares de contrebande au bar de l’hôtel Raphaël et qui entame une relation avec la femme d’un de ses clients, O., une russe cinglée et égocentrique dont il devient progressivement effroyablement jaloux, qui finit par le mépriser et, au bout de 403 jours, le larguer. Le récit est entrecoupé de scènes de métro où trois jeunes imbéciles poursuivent une conversation avec l’insensé de Saint-Fargeau en fond de décor. En fait il s’agit du trajet en métro vers le vernissage de O. et ce n’est qu’une fois rendu que l’on comprend définitivement que l’auteur et l’insensé de Saint-Fargeau ne font qu’un et qu’il a poussé O. dans la Seine tout en en conservant un bras qu’il a expédié à sa propre adresse.

Il y a plein de choses réussies dans ce livre. Déjà ça tient la distance, c’est homogène, ça se lit plaisamment avec un vrai rythme un peu lancinant et répétitif. Peut-être est-ce lié au fait de lire un texte pas encore officiellement publié, l’envie vient parfois de le retoucher, de le parfaire, d’éliminer les phrases définitives pour certaines horripilantes. Les sentences et les références chics confèrent un ton parisien pas loin d’être méprisant, mais quand même vu comme tout ça est casse-gueule il s’en tire vachement bien et c’est très impressionnant. Le défaut grave et fatal me semble le peu de teneur de son personnage féminin, dont on ne comprend pas que l’auteur en tombe raide à ce point. C’est ce qui fait que le livre reste un petit ouvrage parisianiste, mais certainement pas moins bon que des Foenkinos et autres Jauffret. Je serai curieux de voir l’accueil qu’il recevra dans la presse.

dimanche 18 mai 2008

En route pour la Gloire, Woody Guthrie, Paris, 18 mai 2008

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Encore un tuyau du vieux Bob, moins percé que les autres. Un peu comme pour Dylan Thomas ou Dylan lui-même, cette autobiographie sent un peu l’esbroufe et l’autocélébration, ou sans doute certains passages moins reluisants ont été passés à la trappe (pas un mot sur le mariage signalé dans la notice biographique « au début des années 30 » alors que le récit court de 1912 à 1942 et qu’un second mariage s’est apparemment tenu en 1942), mais l’essentiel, l’attitude, le cran, les rencontres, sont là et bien là.

Woody, c’est comme Tom Sawyer : c’est l’Amérique, le grand rêve de la liberté. Le livre démarre et s’achève dans un train de marchandises, en hobo parmi les hoboes, avec sa boîte à musique (sa guitare). L’essentiel de l’existence de Woody Guthrie semble avoir été l’itinérance à travers les Etats-Unis d’Amérique parmi les pauvres à la recherche d’un boulot, en soulageant leurs souffrances par de la musique et des paroles inventées sur le tas, le tout porté par la conviction inébranlable que ces gens sont bons et n’aspirent qu’au bonheur, et que c’est la mouise qui les fait se comporter en hyènes. Sans le dire il conçoit sa mission de troubadour à la fois comme un devoir de témoignage sur la dureté des relations sociales et le sort de misère des pauvres de Hooversvilles et des jungle camps, mais aussi comme un rappel à ces pauvres qu’ils ne sont pas que des pauvres, mais aussi des hommes, des frères. Ainsi le 1er chapitre est le récit d’une baston générale entre 70 hoboes dans un wagon de marchandises en marche, et le dernier chapitre est l’épilogue de cette baston, où les mêmes hoboes fraternisent après l’annonce qu’il y a du boulot à Seattle… Guthrie est un peu de gauche.

Entre ces deux chapitres, Guthrie fait le récit de son existence, dans l’ordre chronologique, l’enfance à Okemah dans l’Oklahomah, marqué par le boom pétrolier, une première époque radieuse et opulente, suivie d’une descente progressive aux enfers liée notamment à la folie de sa mère qui semble pyromane. Les maisons brûlent successivement, dont une fois avec la petite sœur dedans, les affaires immobilières du père tournent mal, et Woody devient vagabond, arpentant une Amérique de misère, travaillant de-ci de-là et apprenant sur le tard à jouer de la guitare. Le premier voyage vers la Californie occupe une part importante du récit et a failli le laisser sur le carreau. Une fois là-bas, il aurait pu (prétend-il) s’assurer une place au chaud chez sa tante mais il préfère quand même, à moitié mort de faim, continuer dans le monde des vivants que de pénétrer dans la bourgeoisie éthérée. De même à New York à la toute fin du livre, « à la croisée des chemins », il choisit lui-même (avec la métaphore d’une barque s’éloignant et dont il ne saute pas) de refuser un juteux contrat de music hall et de poursuivre sa vadrouille parmi les travailleurs miséreux.

L’écriture de Guthrie est assez inimitable et fort bien rendue par la traduction française. La syntaxe est souvent approximative ou disons plutôt que le style est très free et créatif (par exemple ce titre d’un délicieux chapitre sur une bataille entre deux bandes d’enfants, digne d’un récit épique de Las Casas sur une bataille napoléonienne : « Pus aucune bande peut pus nous battre »), l’ironie et la tendresse omniprésentes. Par exemple sur la fin de son voyage initiatique pour la Californie : « Ce fut le plus près de la boîte à dominos où je me sois jamais trouvé. Mon esprit reconstitua un million de choses, toute ma vie défila devant moi, et tous les gens que je connaissais, et tout ce qu’ils signifiaient pour moi. Et, sans nul doute, ma ligne politique changea sérieusement à cet instant et à cet endroit mêmes, encore que j’ignorais que je faisais mon éducation à l’époque. » À plein de moments, j’ai pensé à Djian et à sa phrase somptueuse : « le style permet de concentrer toutes les expériences d’un homme en une seule phrase. » De ce point de vue, Guthrie a une sacré classe.

dimanche 13 avril 2008

Transparences, Ayerdahl, Paris, 13 avril 2008

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Ce polar fait partie des livres offerts par mon père à Noël, et il l’avait lui-même reçu en cadeau de son libraire comme en témoigne la mention « offert par votre libraire. Ne peut être vendu » au dos du livre, qui semble indiquer que le livre est tellement bon qu’il est rentable d’offrir le premier tellement on en fourguera par la suite au lecteur esbaudi. C’est effectivement pas mal dans le genre polar mal écrit pas loin d’être complètement con…

On se laisse quand même prendre évidemment, parce qu’il y a une certaine virtuosité dans le n’importe quoi et des thématiques qui regorgent de fantasmes à grosses ficelles. En résumé Stefen Bellanger, criminologie québécois, obtient un poste de profiler dans l’agence lyonnaise d’Interpol, et se heurte bientôt au dossier Ann X, une jeune Allemande qui a buté ses parents à 12 ans et multiplie les meurtres depuis sans que les témoins de ces meurtres n’arrivent à se rappeler à quoi elle ressemble. En approfondissant leur enquête, Bellanger et son supérieur Decaze s’aperçoivent rapidement qu’ils sont au cœur de manipulations multiples de pleins de services secrets. Au fur et à mesure tout le monde joue triple ou quadruple jeu sauf Michel le SDF de service et seul et unique ami de Bellanger qui malgré sa finesse psychologique est un type totalement insensible et donc extrêmement seul bien qu’il ait le contact facile et un charme irrésistible avec toutes les femmes. D’ailleurs Naïs (le vrai nom d’Anne X) tombe amoureuse de lui, ce qui la décide à mettre un terme à sa carrière criminelle et à se rapprocher de Stefen, d’abord sous de fausses identités, puis en tant que Naïs. Plus que le don de transparence, Naïs a le don de se métamorphoser en des identités multiples et de brouiller l’image qu’elle imprime chez chacun, qui se raccroche à des catégories antérieures pour cataloguer la mémoire de Naïs… Ayerdahl raccroche ici le lecteur au fantasme de la femme multiple, insaisissable et pourtant toujours identique. Pour finir Naïs remonte au sommet du complot qui n’était ourdi par autre que son grand-père, échappe à toutes les polices du monde, repart à la lutte avec Stefen afin qu’il accepte enfin de tomber amoureux d’une tueuse en série et pour finir le convainc de repartir déjouer d’autres complots le jour du 11 septembre 2001, car « ils vont désigner des coupables ».

Le serpent se mord la queue dans cette fin grotesque, dans laquelle toute la philosophie manichéenne qui sous-tend ce genre littéraire se trouve résumée. On notera par ailleurs une véritable modestie de l’auteur qui n’hésite pas à multiplier les références extrêmement actuelles, démontrant ainsi qu’il ne prétend pas écrire pour les siècles futurs. Exemple de trivialité : Stefen commence à reconnaître Ann X dans ses différentes incarnations car à chaque fois la femme en question lui rappelle une certaine chanson de Jean-Jacques Goldman, oui Jean-Jacques Goldman !! On est au-delà de la faute de goût, carrément dans un projet conscient d’anti-littérature ! Reste que ces bavouilles au kilomètre sont plutôt divertissantes, en particulier les joutes psychologiques dont Stefen est supposé spécialiste. Du grand n’importe quoi virtuose et prolixe…

dimanche 16 mars 2008

Dans la peau d’un noir, JH Griffin, Paris, 16 mars 2008

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Petit reportage pas merveilleusement écrit, avec une pointe d’emphase et parfois un peu de manichéisme moralisateur, Dans la peau d’un noir n’en relate pas moins une expérience fascinante, conduite à la fin des années 60 dans le sud des Etats-Unis.

En ingurgitant des médicaments et en utilisant des teintures, un blanc dans la force de l’âge se transforme en vieux nègre pour connaître le sort réservé aux noirs dans les états les plus ségrégationnistes. L’expérience ne dure que sept semaines (entrecoupée qui plus est de quelques retours à la condition blanche qui ne font qu’accentuer le contraste), ce que Griffin a l’air de trouver très long (ce qui peut se comprendre sur le plan de la distance mentale), et les résultats sont édifiants, quoique pas vraiment surprenants. Un passage particulièrement savoureux réside dans les questions récurrentes des automobilistes à l’auto-stoppeur black quant à sa vie sexuelle supposée trépidante. D’après Griffin, quelque chose comme dix automobilistes sur douze ont eu ce comportement, et sans doute qu’il y a dans le racisme à l’encontre des noirs une angoisse profondément sexuelle. Griffin rapporte une foule de discriminations, vexations, hostilités de toutes sortes, tel ce chauffeur de bus qui refuse de laisser les noirs aller pisser lors d’une pause dans une station service, les commerçants qui refusent les paiements en chèques de voyages, les bancs, les bars, les chiottes, les restaurants, etc…, interdits aux noirs. La condition de noir s’avère ainsi très rapidement extrêmement pesante, au point que quelques instants enfermés dans les toilettes publiques procurent à plusieurs reprises à Griffin un réel soulagement. Enfin, outre l’aspect fantasmatique que revêt cette aptitude caméléon à pouvoir se glisser incognito dans une population étrangère (ça pourrait fonctionner avec les femmes, les riches, les drogués, les hooligans, …), l’expérience de Griffin est fascinante dans ses motivations et ses conséquences psychologiques : volonté de se fuir, perte de sa substance, fantasme de négritude, etc… mais Griffin ne semble pas en avoir conscience. L’intéressant c’est que redevenu blanc, la part du noir en lui n’a pas disparu. Peut-être qu’il y a une part de noir en chacun, comme il y a paraît-il une part de femme ?

Ce récit est-il digne de foi ? Personne ne grille la supercherie, alors que Griffin multiplie progressivement les allers-retours du noir au blanc. Ça paraît incroyable mais peut-être est-ce justement tellement improbable qu’il ne vient à l’esprit de personne de supposer une manipulation. En dépit de ses nombreux larmoiements apeurés, Griffin fait preuve d’un grand courage physique, d’une part avec ce qu’il inflige de transformations à son corps, et d’autre part en rendant publiques ses investigations, ce qui obligera ses parents et sa famille à déménager pour fuir les menaces.

mardi 19 février 2008

Le bruit et la fureur, William Faulkner, Parati, Bresil, 19 février 2008

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Le titre original, The sound and the Fury, vient de Macbeth : « It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing ». Les évènements retracés dans le livre font l’objet d’un résumé par le traducteur dans un texte introductif, au motif que le texte de Faulkner est trop obscur. Est-ce à cause de cette préface : le récit, en dépit de son caractère haché et subjectif (on est successivement dans la tête de Benjy, puis de Quentin, puis de Jason) et des complications volontairement posées par Faulkner (un certain nombre de prénom appartiennent par exemple à deux personnages) est relativement limpide. Bizarrement le traducteur prévient que le sujet du livre est la haine de Jason pour la jeune Quentin, alors que tout tourne autour de Caddy, dont Faulkner lui-même dit que son projet de nouvelle est devenu roman après qu’il s’est épris de son personnage. Les trois chapitres sont ainsi chacun consacrés à un frère de Caddy, et semble refléter chacun une facette de l’amour.

Benjy est complètement demeuré, un vrai légume qui vit dans un monde de sensations. Il a pour sa sœur un amour absolu et instinctif. Elle « sent comme les arbres » et elle est toujours bonne pour lui, prenant sa défense, s’inquiétant de ses émotions, donnant du prix à ses marques d’affection et lui en témoignant en retour. Tout le premier chapitre est un va-et-vient entre le 7 avril 1928, date du 32ème anniversaire de Benjy qu’il consacre à zoner avec Luster, le petit-fils de Dilsey, près du terrain de golf à la recherche de 25 cents perdus pour aller au cirque, et des flashs d’enfance où Caddy était encore là. Depuis qu’elle s’est fait chasser par son mari, semble t-il pour avoir eu un enfant (Quentin) qui n’était pas de lui (mais de Quentin précisément, même si le traducteur prétend que l’amour incestueux de Quentin est resté platonique), Jason et sa mère, qui ont recueilli son enfant, ont interdit que son nom soit prononcé. Dès qu’il l’entend pourtant, que ce soit de Luster pour le titiller ou d’un des golfeurs appelant son caddie, des réminiscences d’enfance apparaissent et Benjy se met à chouiner.

Dans le 2ème chapitre on semble accompagner Quentin le jour de son suicide, sans qu’il soit tout à fait établi que tous les évènements rapportés se tiennent sur la même journée. Quentin est étudiant à Harvard, dont les frais de scolarité ont nécessité la vente d’un pré du domaine familial. On est alors en 1910, le père (Jason) n’est pas encore mort de boisson. Quentin se noie et laisse une lettre, sans qu’à aucun moment le cours de ses pensées ou le contenu de la lettre, non dévoilée mais dont on sait que la mère l’a reçue, ne sont explicités. Mais Caddy revient de manière obsessionnelle, alternativement dans une scène d’attouchement et dans une scène de jalousie à propos d’un de ses amants, Dalton Ames. Et Quentin agresse également un camarade fils à papa en lui hurlant : « As-tu jamais eu une sœur ? »

Retour à 1928 dans le 3ème chapitre consacré à la vision du monde de Jason, le mal aimé, l’exclu, qui « n’a besoin de personne pour se tenir sur ses deux jambes ». Il accumule tous les défauts possibles, raciste, méchant, retors, fainéant, menteur, voleur, de mauvaise foi et repu de bonne conscience. C’est lui qui condamne Caddy à l’exil, détourne l’argent qu’elle envoie en faisant déchirer de faux chèques à sa mère, met au feu devant Luster qui en bave d’envie deux billets pour le cirque qu’on lui a donné, etc… Déjà petit c’était le rapporteur. Chez ce méchant on ne sait pas si la méchanceté venge l’exclusion ou si elle rayonne en s’en foutant crânement. Dans une interprétation « caddyesque » du roman, ce serait du dépit de constater l’intimité entre Quentin et Caddy et le lien spécial entre Benjy et Caddy que serait né le cœur de pierre de Jason.

Dans un 4ème et dernier chapitre on retrouve une narration externe pour une étrange conclusion : Quentin s’est barré avec son romano à cravate rouge et avec le trésor accumulé par Jason, 3.000 $. Ce dernier se met immédiatement en chasse, tandis que les noirs et Benjy vont à la messe Au bout d’un moment on comprend, et Jason aussi, que la piste s’est évanouie, car Quentin et son mec ont quitté la troupe du cirque. Jason, bizarrement soulagé, s’en retourne à Jefferson soigner sa migraine et à peine arrivé colle une trempe à Luster.

Un roman magnifique et captivant ! Tous les personnages sont attachants, même le mongol, même le vicelard, à l’exception peut-être de la mère, increvable mégère aux insupportables lamentations répétitives. Elle se croit punie et sa famille maudite, pour un crime non précisé. L’écriture de Faulkner est un tour de force, avec une focale qui se précise peu à peu : Benjy zappe sans arrêt, Quentin va et vient entre passé et présent, Jason est pour l’essentiel concentré dans le quotidien et la conclusion revient à une narration chronologique des plus classiques. Les éléments du drame se mettent en place petit à petit, par touche, telle la castration de Benjy après qu’il a agressé une petite fille qui sortait de l’école. Et Caddy reste un mystère à peine approché : tour à tour petite fille charmante et un brin tyrannique, jeune femme séduisante et un peu perdue dans les jeux de la séduction puis femme à moitié folle d’amour pour la petite fille qu’on lui interdit d’approcher. On la devine bonne, belle et fêlée. Juste ce qu’il faut pour en tomber amoureux.

mercredi 16 janvier 2008

24 heures dans la vie d’une femme, Stefan Zweig, Paris, 16 janvier 2008

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Comme dans La destruction d’un cœur, tout part d’un séjour dans un hôtel, marqué par le scandale d’une femme, Henriette, abandonnant mari et enfant pour partir avec un homme, certes éminemment séduisant (et français) mais qui n’a séjourné que 24 heures dans l’hôtel. L’auteur prend sa défense contre les commentateurs indignés lors des repas suivants, ce qui conduit Mrs C., une exquise mais très réservée vieille dame anglaise, à vouloir lui confier sa propre histoire, qui constitue l’essentiel de ce court roman.

Longtemps après la mort de son bien-aimé mari et alors que ses deux fils sont déjà grand, Mrs C. se sent totalement inutile et attend la mort en voyageant. Dans un casino de Monte-Carlo, alors qu’elle s’adonne à son passe-temps favori (contempler les mains des joueurs), elle tombe en arrêt devant un jeune Polonais au comportement frénétique, qui après avoir tout perdu sort du casino totalement désespéré et semble résolu au suicide. En dépit de tout ce que ça a d’inconvenant et par suite de certaines circonstances particulières, Mrs C. lui sauve la vie et passe la nuit avec lui, puis fait un tour de calèche et déjeune au restaurant en sa compagnie le lendemain, lui faisant jurer dans une église que jamais plus il ne s’adonnera au jeu. Après lui avoir donné une somme d’argent destiné à ravoir les bijoux de famille volés et placés en gage, elle lui donne rendez-vous à la gare et se rend à une réunion de famille à laquelle elle ne peut se soustraire. C’est alors qu’elle forme l’extraordinaire projet de partir avec lui par le train, qu’une série de contretemps lui fait rater. Désespérée d’avoir raté ses adieux et sa fuite, elle refait par nostalgie le parcours de la veille au soir et retombe au casino nez à nez avec… le polonais, en train de jouer l’argent qu’elle lui avait remis. Une nouvelle tentative pour le sortir de sa passion aliénante se solde par un esclandre, dont Mrs C. a tellement honte qu’elle reprend illico le train jusqu’à l’Angleterre pour tenter, les années passant, d’adoucir le souvenir de cette mésaventure et de son inconduite, dont elle se mortifie. Et ça marche doucement : elle apprendra plus tard avec une relative indifférence que le jeune Polonais s’est suicidé peu après son départ de Monte-Carlo. Tout ça pour conclure, dit Mrs C., que 24 heures peuvent effectivement changer complètement la vie d’une femme.

L’intrigue est absolument remarquable et savoureuse sur le plan psychologique, la démonstration limpide et entièrement convaincante. Le plaidoyer du locuteur reprend en effet de façon presque militante (quoique conscient de se laisser quelque peu emporté dans les excès de la controverse) la maxime de Spinoza : « ne pas juger, comprendre ». Le style quant à lui est d’une grande fluidité mais embarrassé par quelques longueurs et superlatifs. Quand Zweig tient un filon (par exemple l’expressivité des mains autour d’une table de roulette), il ne le lâche pas avant d’en avoir totalement essoré la sève, quitte à se répéter plusieurs fois. Mais peut-être est-ce une technique nécessaire à la pénétration psychologique de ses personnages par le lecteur ?

dimanche 13 janvier 2008

Portrait de l’artiste en jeune chien, Dylan Thomas, Paris, 13 janvier 2008

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A croire que je ne peux pas entendre Bob Dylan parler d’un livre sans courir me le procurer par tous les moyens pour le lire aussitôt. Dans « No direction home », Dylan confie que c’est après la lecture de ce recueil de nouvelles qu’il a choisi son nom de scène. Mais un peu comme pour L’art de la guerre de Sun Tzu qu’il évoquait dans ses mémoires, les promesses tenant au nom prestigieux de l’auteur et au titre excitant du livre ne sont pas tout à fait au rendez-vous. Le style cependant est là, très proche de l’élégance dylanienne. Dylan Thomas fait le récit, à travers une dizaine de nouvelles plus ou moins autobiographiques, de son enfance et de son adolescence au Pays de Galles dans les années 20 et 30. On part des souvenirs de tout petit garçon pour finir sur les premières amours et même si le ton libre, un peu provoquant et subtilement drôle reste le même, le charme exercé par le narrateur s’évanouit progressivement. Est-ce simplement la réalité qui s’éloigne, la poésie qui prend peu à peu le pas sur la confidence ?

Pour autant même dans les premières nouvelles Dylan Thomas parle très peu de lui, c’est son regard sur les personnages et les situations qui est mis en avant : les bonnes qu’il accompagne au parc, une amitié instantanée qui commence par une beigne, un copain qui le rejoint dans sa maison de vacances et appelle sa maman au secours au bout de 24 heures, un début de vacances sous la tente entre garçons, un grand-papa qui fugue pour se rendre à son propre enterrement, … En fait c’est quand même hyper bien, mis à part deux ou trois nouvelles plus ésotériques qu cassent un peu le charme. Je me rends compte que mon engouement est nettement retombé après avoir pris plus de renseignements sur Dylan Thomas, pas loin de la fin du livre, comme si j’avais été déçu que les scènes qu’il décrit datent des années 20 ou 30, alors qu’à la lecture elles me semblaient se dérouler dans la seconde moitié du 19ème siècle. Ou peut-être est-ce la description de son existence de pochetron qui ne collent pas à ses frasques de petit garçon ? Comme une sympathie qui ne tient pas, bizarre…

samedi 5 janvier 2008

Maîtres et serviteurs, Pierre Michon, Paris, 5 janvier 2008

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Trois courtes biographies de peintres illustrent une réflexion rêveuse de Pierre Michon sur la grâce et la disgrâce, sur le petit nombre d’élus détenteurs du vrai talent et les autres, les laborieux. La langue de Michon est toujours aussi majestueuse et particulière mais le propos est mystérieux, à l’instar de l’intitulé des chapitres.

Le premier, « Dieu ne finit pas », est une méditation sur la vie de Goya, petit homme médiocre et attentif à le demeurer, et pourtant immense artiste, centrée sur l’amour du peintre pour Pepa, sa femme, qu’il épousa semble t-il au moins en partie pour ses frères, peintres introduits à la cour et susceptibles de lui procurer des entrées, mais peut-être aussi pour la tranquillité qu’elle lui apportait.

Alors que Goya est cité à la première phrase du premier chapitre, Watteau, auquel est consacré le deuxième, « Je veux me divertir », n’est nommé qu’au dernier paragraphe, sans doute pour la devinette. C’est cette fois un vieux curé qui témoigne de ses quelques rencontres avec Watteau, fasciné par son désir de posséder toutes les femmes, par son dépit de cette impossibilité et par la traduction de cette impossibilité en peintures. Peu avant de mourir, Watteau demande au curé, qui s’exécute à contrecœur, de brûler ses toiles de possession, peut-être pour ne pas en être dépossédé dans la mort.

Le troisième et dernier chapitre, « Fie-toi à ce signe », concerne un serviteur, et non un maître : c’est l’histoire de Lorentino, disciple de Piero della Francesca, peu à peu désillusionné sur son propre talent. La hiérarchie fatale des talents apparaît comme une vérité initiale et intangible mais progressivement et cruellement révélée : tout en haut Piero della Francesca, maître intouchable et bon, auquel même aveugle Lorentino amène son fils, ensuite les autres disciples comparses de Lorentino, aux carrières honorables, ensuite Lorentino, auquel n’échoit que quelques chutes de commandes, enfin Bartolomeo, le disciple de Lorentino, à peine plus qu’un paysan. Lorentino a pourtant en lui la matière d’un chef d’œuvre, et sera à son tour, mais furtivement, un maître : une commande particulière lui fut adressée par un paysan qui la paya au moyen d’un cochon. La peinture de Saint-Martin qui en résulta fut un incontestable chef d’œuvre, peut-être le seul de Lorentino. Placée dans une église, quelques-uns l’admirèrent puis le temps fit son œuvre et la toile redevint peu à peu poussière, Lorentino fut oublié.

« Diosa le regarda particulièrement pendant tout le temps qu’il peignit ce tableau ; car il avait en toute chose la main que jadis il avait porté sur elle, mais elle ne savait pas sur quoi il la portait. Elle se dit que peut-être elle aurait des robes, ou plutôt Angioletta maintenant.

Et Bartolomeo avait bien un maître. Le disciple vit travailler un maître, entre le mercredi des cendres et Pâques. On ne sait pas ce qu’il en fit, peut-être un chef d’œuvre lui aussi vers sa soixantième année, peut-être rien. »

Qui sont les maîtres, qui sont les serviteurs ? Qu’est-ce qui fait un grand peintre ? Pierre Michon lui-même se considère t-il comme maître ou serviteur ? J’ai le sentiment qu’il se pose ces questions sans intention d’y répondre, davantage pour le prétexte d’un thème ou d’une problématique unifiant quelques biographies poétiques.