mardi 16 mars 2004

L’ignorance, Milan Kundera, Verbier, 16 mars 2004

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Petit livre qui se lit vite et gentiment. Irena, émigrée tchèque à Paris depuis 20 ans, se heurte à l’incompréhension de ses amis français, qui ne conçoivent pas qu’elle ne désire pas retourner vivre dans son pays après la chute du communisme. Elle fait un essai, mais sa vie n’est plus là-bas : elle n’est de nulle part. En chemin, elle croise Josef, dans une situation analogue ; ils se paient une bonne partie de cul puis chacun retourne à sa solitude.

Il y a, au milieu d’un certain nombre de lieux communs, quelques idées intéressantes, notamment sur l’utilité du communisme. L’adhésion au communisme a permis aux gens « de combler leurs besoins psychologiques les plus divers : le besoin de se montrer non conformiste ; ou le besoin d’obéir ; ou le besoin de punir les méchants ; ou le besoin d’être utile ; ou le besoin d’avancer vers l’avenir avec les jeunes ( ??) ; ou le besoin d’avoir autour de soi une grande famille. » L’ensemble reste décevant. Ça sent un peu son littérateur mondial (qui montre qu’il peut décliner le mot nostalgie en à peu près 12 langues sans que ce soit du moindre intérêt), ce qui n’est pas sans rappeler Coehlo ou Süskind. Ça serait intéressant de lire L’insoutenable légèreté de l’être pour voir si Kundera appartient à cette catégorie : à la réflexion les personnes qui me l’ont vantée me rappelle un peu les enthousiastes du Parfum ou de la bouse de Paulo Coehlo dont je ne me rappelle même plus le nom, ah si L’alchimiste… D’ailleurs Albert Cohen aurait aussi sa place dans le club bien que lui se fasse chier à en tartiner des paquets.

Bref cette « ignorance » est une lecture somme toute assez anodine (bien que pas déplaisante, on s’intéresse tout à fait aux personnages et ça se lit très facilement), mais pour être juste il y a peut-être un niveau de lecture plus approfondi qui m’a échappé (et déjà : pourquoi ce titre ?). Dans la crainte qu’il n’y en ait pas, je m’abstiens de le chercher.

dimanche 14 mars 2004

Stendhal, le bonheur vagabond, Jean Lacouture, Verbier, 14 mars 2004

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Délicieuse récréation pour beyliste (« beylants » disent certains) qui donne très fortement envie de se replonger dans la lecture de son auteur favori, et me fait regretter de ne pas avoir emmené les promenades dans Rome à … Rome où j’étais il y a seulement deux semaines. Certes Jean Lacouture ne s’est pas trop foulé puisque près d’un quart de son petit livre est constitué d’extraits du journal de Stendhal ou de ses ouvrages « touristiques », et que c’en est de très loin la partie la plus savoureuse. Mais au moins il évite la plupart du temps les bavardages, choisit bien les extraits et apprend au lecteur (surtout au lecteur largement ignorant comme moi) une foule de choses souvent croustillantes.

Le point d’interrogation de Lacouture, qui reste sans réponse, réside dans le lien entre la frénésie de voyage de Stendhal et le moteur de son écriture. Il a notamment voyagé 5 mois en 1838 avant de dicter d’une traite la Chartreuse de Parme en 53 jours, mais les contrées traversées sont sans aucun rapport, ni géographique, ni affectif, avec le sujet de cet ouvrage. Pour Lacouture, l’obsession de mouvement chez Stendhal lui permet de se mettre en condition d’écriture en saturant son esprit d’impressions, de rencontres, de petits soucis matériels, pour vivifier son esprit et aller à l’essentiel : une sorte d’ascèse pour ce gros dilettante. Je veux bien souscrire à cette proposition.

Toujours est-il qu’on ressort encore plus amoureux du personnage, qui ne pense certes qu’à enfiler des servantes (dont une à qui il « prend les deux culs » !! il faudra éclaircir cette expression…), semble une feignasse finie (mais donne cependant satisfaction quand il daigne se mettre au boulot) et formule des jugements à l’emporte-pièce sur tout et n’importe quoi. Que ses livres sont plaisants, on ne saurait mieux l’exprimer qu’un de ses admirateurs, qui lui écrit : « … votre plume, toute légère qu’elle est, n’en est pas moins la massue des préjugés ; rien ne donne le désir de causer avec vous comme de vous lire. Cette aristocratie d’esprit et cette libéralité de sentiments vous placent à part de tout ce qui est écrit maintenant… la profondeur dans la légèreté : voilà ce qui fait les livres amusants et durables » (A. de Custine, 1838). Stendhal ou l’anti-Chateaubriand…, mais Stendhal à défaut à défaut d’aimer Chateaubriand l’admirait paraît-il… et il vénérait Montesquieu, qui fera de ce fait partie de mes prochaines lectures. Donc que l’écriture de Stendhal soit incomparable, on le savait, mais comment se fait-il que le personnage lui-même soit tellement attachant et émouvant, et sans pour une fois que l’émotion résulte d’une identification à ce qui n’en est pas moins un héros…. Vas savoir Henri, Frédéric, …, mais ce qui est sur c’est que tu nous fais bien marrer, Lacouture, moi et pas mal d’autres apparemment.

samedi 13 mars 2004

Les Mémoires d’outre-tombe, tome II, Chateaubriand, Verbier, 13 mars 2004

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Fini ce jour le deuxième tome des Mémoires d’Outre-tombe, de Chateaubriand (il y en a quatre au total). J’avais récupéré les deux premiers tomes parmi les livres laissés par mon grand-père René, avec une autre excellente trouvaille bien plus digeste : la vie devant soi de Romain Gary / Emile Ajar.

J’aurais aimé disserter de Chateaubriand avec mon Bon Papa : s’il l’avait lu à mon avis il était fan. Chateaubriand est parfois énervant de bigoterie, mais il a un sens de l’honneur et de la grandeur indéniable, qui me font penser à mon grand-père. Tous deux partagent cette ambiguïté entre fidélité inébranlable à leur idéologie (christianisme et monarchisme pour Chateaubriand, pétainisme teinté d’un fatalisme à mi-chemin entre le bouddhisme et le fascisme, aussi curieux que ça puisse paraître, s’agissant de mon extraordinaire grand-père), et ferme volonté de ne pas se raconter d’histoires, de juger en profondeur et en équilibre en respectant la réalité et sa complexité. Le jugement de Chateaubriand sur Napoléon est à cet égard caractéristique et éminemment important dans l’ouvrage puisque toute la 1ère partie de la « carrière politique » de l’auteur y est consacrée (soit la moitié du tome II) : la biographie de Napoléon par Chateaubriand ressemble parfois au réquisitoire d’un procureur au tribunal de l’histoire (Article du Mercure de 1807 : « … l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples »). La partialité du résumé choque par endroits, en particulier lorsqu’elle se conjugue avec un style ampoulé (« épique » dit pudiquement le préfacier de cette édition) et un agenouillement systématique devant tout ce qui a un peu de sang bleu ou un rapport quelconque avec le Pape. Malgré tout le jugement d’ensemble apparaît fort juste : on sent la colère de Chateaubriand contre les crimes de l’Empereur, mais il crie également au génie, un génie froid au bilan calamiteux, du moins tel qu’on pouvait le percevoir en 1815. Au moins la grandeur de Bonaparte ne fait-elle aucun doute, et Chateaubriand lui en est d’autant plus reconnaissant qu’il est ulcéré par la petitesse, fort répandue à cette époque troublée : « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux. »

Chateaubriand a des airs de spectateur engagé à la Aron même s’il a eu plus d’activités : se rêvant explorateur, il part à la découverte de l’Amérique du Nord autour de ses vingt ans, revient après le début de la Révolution puis s’exile en Belgique et s’engage dans l’armée de Condé, ce qu’il dénomme pompeusement sa « carrière militaire ». Celle-ci tourne court et il s’exile alors plus chichement, longuement et littérairement en Angleterre, revient sous l’Empire qu’il sert à Rome avant de démissionner en 1804 après l’exécution du Duc d’Enghien. Il devient alors opposant à Napoléon. Le génie du christianisme (1802) avait eu un grand retentissement et propulsé Chateaubriand sur le devant de la scène, ce qui lui permet de revendiquer la réhabilitation du christianisme, bien amoché par le Siècle des philosophes. Encore faut-il observer que ce succès entrait dans les plans de Napoléon qui préparait le Concordat et était donc content de mettre Chateaubriand à son service.

Ce pavé fort instructif tombe parfois des mains, malgré des fulgurances soutenues par une culture classique incroyablement riche, par exemple cette citation de Tibulle (Elégies, I, vers 45-46) : « quam iuvat immites ventos audire cubantem », quel plaisir d’entendre les vents sauvages, tandis qu’on est au lit (et de presser tendrement sa maîtresse sur son cœur). Autre citation célébrissime : « Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché. »

Sur la démarche des mémoires, Chateaubriand précise dès l’introduction qu’il ne dira pas une vérité exhaustive et qu’il taira ses turpitudes, avançant que déballer ses errements personnels ne serait d’aucun intérêt. Il semble cependant que ce si bon chrétien ait régulièrement vécu dans le pêché et se soit trouvé être un grand amoureux...

La lecture des tomes III et IV dépendra de leur sommaire. Il est possible que l’âge avançant Chateaubriand devienne insupportablement acariâtre, mais son récit de la Restauration doit être délectable…