vendredi 20 octobre 2006

La possibilité d’une île, Michel Houellebecq, Paris, 20 octobre 2006

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L’exemplaire de D. traînait sur une étagère chez moi depuis 1 an quand je l’ai soudainement remarqué. J’étais content de ne pas l’avoir lu lors du battage médiatique et d’avoir attendu d’en avoir vraiment envie. Est-ce lié à cette attente ? On retrouve le grand Houellebecq des Particules élémentaires, avec un texte extrêmement travaillé, à la différence de Plateforme, que j’avais trouvé un peu trivial et parfois presque bâclé. On retrouve ici l’effet très intrigant d’une lecture à la fois jubilatoire et déprimante, louable dans sa rigueur radicale et en même temps complaisamment vicieuse.

Il s’agit du récit de vie de Daniel1, star du comique français de la fin du 20ème siècle qui accèdera parmi les premiers à l’immortalité, ou plutôt au clonage à partir de son patrimoine génétique, et en alternance des commentaires de Daniel24 puis Daniel25, ses successeurs à 2000 ans d’intervalle. Comme je l’ai lu dans une de ses interviews, Houellebecq exploite une conviction simple : « tout ce que la science permet sera réalisé », donc en premier lieu le clonage. Ici il s’agit de la fabrication, directement à l’âge adulte d’êtres humains en remplacement et avec le même patrimoine génétique que celui qui vient de disparaître. La seule mutation génétique significative a consisté en la suppression de l’alimentation et du système digestif, remplacé par la photosynthèse et l’ingestion de sels minéraux. L’avènement du clonage se fait au moyen d’une secte (les elohims, allusion transparente à Rahel) qui est très raisonnable : aucun eugénisme et création d’êtres humains uniquement en remplacement.

Peut-on vraiment parler de vie éternelle ? Toujours est-il que selon Houellebecq la disparition de l’angoisse de la disparition a des conséquences radicales : suppression progressive de la sociabilité, pleine conscience du déterminisme, conservatisme radical, suppression de la souffrance mais aussi de la joie, une vie ascétique appelée à déboucher un jour sur la joie des clebs… Au bout du compte Marie23 et Daniel25 se suicident en quittant leurs résidences : on ne les remplacera plus…

Houellebecq fait feu de tout bois : le personnage central du petit chien occasionne lors de ses décès les émotions les plus vives du livre, les projets artistiques de Daniel1 sont foisonnants, l’intrusion dans la secte est très réussie et les provocations abondent. Du style : « Pourquoi, à une époque où la contraception était au point et le risque de dégénérescence génétique parfaitement localisé, maintenir cet absurde et humiliant tabou de l’inceste ? » Les scènes de cul sont également abondantes et alléchantes.

Il s’agit finalement d’un développement de l’épilogue des Particules élémentaires, si ce n’est qu’à l’époque la découverte scientifique consistait à neutraliser le gène du vieillissement. Sans doute que le dispositif des remplaçants est privilégié car il permet une structure de narration qui permet d’alterner le rythme tout en rajoutant une problématique sur l’inné et l’acquis, et l’horizon d’une vie humaine. Au passage, le modèle parfait du style littéraire n’est plus comme pour Stendhal le code civil (« Tout condamné à mort aura la tête tranchée ») mais le mode d’emploi du magnétoscope JVC XS-312… Construction riche et foisonnante, provocations variées et méchancetés souvent hilarantes, sans cependant que le propos soit très convaincant. L’histoire racontée est loin d’être la plus probable, d’un point de vue neutre, et ne tient pas à de nombreux égards. Houellebecq est un grand malade mais c’est avant tout un romancier qui aime raconter des histoires et se laisser conduire par ses personnages. Et pour un nihiliste froid, l’amour lui tient une grande place… C’est pour cette ambiguïté qu’il est impossible à suivre et à situer. Schopenhauer se serait moqué de lui… Enfin le contrat signé chez Fayard s’accompagnait d’un deal avec Lagardère pour produire le film éponyme. Apparemment le projet a capoté car Michel Houellebecq doit être parfaitement impossible à gérer comme réalisateur. Dommage car j’aurais aimé voir son Esther s’incarner.

dimanche 8 octobre 2006

Je suis noir et je n’aime pas le manioc, Gaston Kelman, Paris, 8 octobre 2006

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Au vu de la médiocrité de la forme, de la pauvreté et de la confusion du contenu, de la maladresse des raisonnements qui relèvent en outre régulièrement de la malhonnêteté intellectuelle (classiquement : la réfutation d’un exemple isolé tient lieu de démonstration inattaquable), au vu enfin de l’antipathie de l’auteur aigri et grandiloquent, le retentissement qu’a connu ce petit essai est révélateur de l’ampleur du problème noir en France et de la justesse du combat posé, dans ses grandes lignes du moins car on sent que Kelman n’a pas les moyens d’entrer dans les détails de façon cohérente.

Pour ce qui est des grandes lignes, il s’agit de reconnaître la discrimination dont sont victimes les noirs, d’affirmer que les émeutes urbaines ne sont pas un problème social mais le résultat de l’exclusion raciale, et enfin de plaider pour une intégration des immigrés, y compris les noirs, par une appropriation de la langue et des usages du pays d’accueil et par une lutte efficace contre la ghettoïsation, en particulier en termes de logement et d’école. C’est en quelques sorte et sans que ça soit dit explicitement un plaidoyer pour la discrimination positive. Il s’agit d’appeler un noir un noir mais sans le discriminer…

C’est de l’enfonçage de portes ouvertes soutenu par des illustrations triviales et répétitives, le tout agrémenté d’un arrière-fond psycho-socio typique de la Politique de la ville, avec un champ lexical de l’action qui veut faire croire que ressasser des principes abstraits et marteler le besoin d’un « véritable » changement c’est déjà agir. Même si le constat est juste, c’est terriblement lourdingue et prétentieux, et ce d’autant plus que l’auteur essaie de faire de l’esprit et d’être iconoclaste.