mardi 18 septembre 2007

Mauvaise réputation, Joey Starr, Poitiers, 18 septembre 2007

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Ce n’est pas vraiment de la littérature mais il y a un ton (« ce genre… ») et certaines phrases plus travaillées qui claquent bien, d’autres qui lorgnent vers l’argot sophistiqué, peut-être la marque de Philippe Manœuvre qui a accouché le récit de Joey Starr. Le récit est haletant, toujours entre trois défonces et deux bastons, toujours une embrouille en cours, toujours en dérapage. L’énergie, l’intensité et l’exigence de Joey Starr, qui en rajoute sûrement parfois un peu, rendent la lecture captivante de la première (entamée à six heures de l’après-midi) à la dernière ligne (atteinte à deux heures du matin, avec deux heures de pause au milieu). Un peu comme dans les mémoires de Bob Dylan, certes dans un registre moins subtil, on retrouve tout le « son » de Joey Starr dans la hargne verbale qu’il met au récit de son parcours, avec aussi ce côté « je suis mon propre repère » qui fait sa classe.

On réalise aussi à quel point c’est un emmerdeur ingérable, Kool Shen a dû en baver… D’ailleurs depuis bien longtemps ils ne se croisaient plus que pour la musique, leur amitié réelle n’ayant duré que le temps de l’adolescence, et je voudrais pas être dans les parages quand ils remettront le couvert pour un 5ème album qui semble inéluctable, tant ils perdent mutuellement à leur séparation. En attendant Kool Shen déguste : décrit comme un obsessionnel flippé, menteur et manipulateur, Joey ne lui adresse plus la parole depuis l’annonce de son retrait du groupe.

Sa justesse de ton me rend Joey Starr sympathique et admirable, mais c’est tout de même hallucinant de faire le boulet à ce point : il choure tout et n’importe quoi depuis toujours, coûte une blinde monumentale à la RATP en effaçage de graffs et à l’armée française en procédures disciplinaires, passe un certain nombre de nuits dans le métro foncedé, tape sur quelques-unes de ses copines et pas mal de quidams (l’altercation avec l’hôtesse de l’air n’a pas eu lieu dans un avion mais dans un hôtel et l’accusation d’escroquerie à son encontre est relativement crédible…) et s’embrouille finalement avec tous ses potes un par un, à l’exception très notable de Seb Farran, son manager. Le coût de cet incontestable talent pour la collectivité n’est pas des plus abordable…

Mais bon au moins il ne fait pas que le boulet, il a une curiosité du monde (cf. sa rencontre avec Béatrice Dalle qui lui ouvre les portes d’un nouvel univers culturel, et peut-être aussi psychanalytique, elle est terriblement barge) et beaucoup de générosité. Et puis commencer dans la vie au rez-de-chaussée d’un HLM de Saint-Denis avec pour seule compagnie un père violent et pas très intéressé, je connais peu de gars qui ont autant d’excuses à leur bouletude.

dimanche 16 septembre 2007

Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé, Paris, 16 septembre 2007

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La saga familiale des Scorta sert un peu de prétexte à la déclaration d’amour enflammée de l’auteur pour les Pouilles, pour son soleil qui crame une terre qui ne donne rien, et pour ses habitants, taciturnes et durs au mal. L’histoire elle-même est inégale. Elle commence par une erreur sur la personne lors d’un viol-suicide avec préméditation de 15 ans, lorsque Luciano Mascalzone revient à Montepuccio à sa sortie de prison. De cette méprise naît Rocco, sauvé de l’élimination par Don Giorgio et qui se vengera des habitants de Montepuccio en les terrorisant avec son train de grand truand. Rocco lèguera toute sa fortune à l’église, renvoyant à la misère ses trois enfants Domenico, Giuseppe et Carmela, cette dernière étant le personnage central du roman, celle qui porte l’hérédité des Scorta et l’attachement viscéral, à la fois élection et malédiction, aux Pouilles et à Montepuccio. C’est par sa faute que la tentative d’exil aux Etats-Unis échoue, les deux frères décidant de rester avec leur sœur refoulée de Ellis Island. De retour à Montepuccio, ils adoptent un nouveau frère, Raffaele, qui accepte cet honneur alors qu’il est fou amoureux de Carmela. Le reste est moins palpitant et un peu bâclé, c’est le récit de la transmission de l’héritage de Carmela à sa petite-fille par l’intermédiaire de l’increvable curé, chargé de lui confesser le moment venu les secrets indicibles : l’amour de Raffaele et l’échec de l’expédition à New York. Carmela a ainsi honoré le pacte des Scorta : ne pas disparaître sans avoir transmis une chose que l’on a appris à la génération qui vient.

Après un début tonitruant, le récit s’essouffle et tombe parfois dans l’anecdotique, avec de très belles scènes (Elia qui met le feu à son bureau de tabac, Donato son frère qui fait traverser l’Adriatique à l’Albanaise aux yeux noirs) et aussi de bonnes lourdeurs (le déjeuner au Trabucco, les morales à la papa) dans une accélération du déroulement temporel qui sent un peu l’auteur en flemme. La grande réussite de ce livre, qui a tout de même reçu le prix Goncourt 2004, tient à l’évocation du va-et-vient éternel des générations, reliées si intimement entre elles qu’elles ne forment plus qu’une seule personne qui poursuit un dialogue passionnée et sans fin avec les Pouilles. Ca donne très envie d’aller y apporter sa petite contribution contemplative.

mardi 4 septembre 2007

La route de Los Angeles, John Fante, Paris, 4 septembre 2007,

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Avec John Fante je n’ai fait que descendre. Ask the dust était époustouflant, Bandini était cool et Mon chien stupide bien léger. Là c’est tout simplement mauvais. Il s’agit d’ailleurs d’un manuscrit retrouvé après la mort de Fante sans avoir jamais été publié. L’éditeur américain qui signe une préface ridicule d’emphase prétend que c’est parce que le texte était trop provocant pour l’époque mais la vérité c’est que personne n’aurait jamais dû publier ce premier roman, même s’il est de John Fante dont soit dit en passant je commence à ne plus comprendre le culte que beaucoup lui vouent.

On retrouve Bandini à un âge intermédiaire, ou plutôt juste avant la période Ask the dust. Il a 18 ans, vit avec sa mère et sa sœur et végète à coup de petits boulots et de rêves de gloire. On comprend qu’il passe son temps à se branler sur des vignettes illustrées (« ses femmes ») et à ronger son frein, expulsant ses angoisse et sa culpabilité dans le sadisme envers les mouches et les crabes, l’agressivité envers sa sœur Mona (prénom décidément en vogue chez les écrivains américains rebelles de cette époque, cf. Miller) et une mythomanie désespérée qui s’exerce sur les rares oreilles disposées à la recevoir. Le caractère totalement abruti et incohérent de Bandini tout au long du livre est exaspérant : il suit une fille dans la rue pendant 10 pages en partant dans différents délires plus absurdes les uns que les autres pour ne finalement pas pouvoir réfréner une fuite en courant au moment où il va l’aborder ; il dépense une somme considérable pour un pistolet à plomb et des munitions et consacre un après-midi à massacrer des crabes en se racontant qu’il est général en chef, etc.. L’oscillation entre emballements mégalomaniaques et mépris dégoûté de soi-même est perpétuelle et rapidement lassante. On voit bien le projet de Fante de rendre la frustration sexuelle, sentimentale et professionnelle de l’adolescence, mais l’empathie pour Bandini est empêchée par son imbécillité, et sans empathie la fougue grandiloquente de Fante ne touche pas le lecteur. Il y a évidemment de bons passages mais c’est souvent ennuyeux et la construction manque de rigueur : tout n’est pas essentiel comme dans les deux autres aventures de Bandini, et le fil de l’intrigue n’est pas clair. S’il s’agit de la folie de Bandini soignée par la révélation de l’écriture, c’est un peu facile et pas très bien amené. Fante redescend de son piédestal.