dimanche 22 janvier 2006

Saint-Just et la force des choses, Albert Ollivier, Paris, 22 janvier 2006

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Ce Saint-Just en deux tomes fait partie des « douze meilleures œuvres historiques », élues dans les années 60 par un jury illustre où figurait André Maurois. Je l'ai récupéré dans la bibliothèque de mon grand-père avec l'essentiel de cette collection visiblement commandée par correspondance à des fins décoratives et jamais ouverte. Et décorative elle risque de le rester à en juger par cette première incursion sur un sujet pourtant appétissant : le récit ennuyeux et désordonné proposé par Albert Ollivier traite au moins autant des intrigues durant la Révolution que de Saint-Just lui-même, en étalant une partialité très surprenante.

L’objectif de ce livre à thèse est manifestement de récupérer Saint-Just, de le « justifier » en invoquant la « force des choses », comme le montre les dernières lignes de l’ouvrage : « Il est peut-être excessif de dire : Il n’y a pas de grands hommes, il n’y a que de grands conflits. Mais il est vrai que la valeur d’un homme tient à sa manière d’éprouver, d’exprimer un grand conflit et d’y répondre. Et cela, Saint-Just, en dépit de quelques erreurs, de quelques faiblesses, a su le faire avec courage et lucidité ». Mais paradoxalement, en dépit de tous les dénis, de toutes les excuses que trouve l’auteur à sa conduite, Saint-Just apparaît quand même dans toute sa cruauté, son intransigeance et son totalitarisme.

Extrêmement jeune, il n’a pu prendre part à la Révolution qu’à partir de 1791 car il fallait avoir 21 ans pour être éligible. Il ronge donc son frein lors des premiers évènements en écrivant des lettres enflammées à Robespierre, un poème orgiaque (Organt) et un ouvrage politique (L’esprit de la Révolution et la Constitution de France) qui eût du succès à Paris. Féru d’histoire romaine, Saint-Just privilégie les questions institutionnelles, dans lesquelles il place la clé des comportements vertueux et s’intéresse aussi à l’économie et aux finances. S’il n’a jamais été grand orateur et manquait de répartie, il s’est rapidement imposé à l’Assemblée par ses discours, à la fois idéaliste et ne reculant pas devant le passage à l’acte. Il semble ainsi avoir grandement contribué à la rédaction de la Constitution de 1793. Envoyé à Strasbourg auprès des armées comme représentant du Comité de salut public, il se distingue par son énergie, sa bravoure, et remporte de grandes victoires notamment à Fleurus. À partir de 1795, il se démarque de Robespierre et tente de se poser en recours dans le conflit opposant Robespierre à la Montagne. Il sera finalement emporté avec lui le 9 thermidor et se laissera guillotiner sans combattre, usé et dépressif, à 25 ans.

Albert Ollivier, résistant, gaulliste, fondateur de Combat et historien de la Révolution, excuse grossièrement et à tout propos les outrances et les pétages de câbles de son héros, qui invente de toutes pièces des complots royalistes pour liquider ses opposants, voit dans la terreur et l’épuration les seuls moyens d’imposer le bien commun et dont l’esprit de système n’est jamais ébranlé par le doute. On comprend mal qu’un fervent gaulliste, moins d’une dizaine d’années après la disparition d’Hitler, se lance dans une telle entreprise de réhabilitation, manifestement idéologique. Peut-être cherche t-il à taper sur Robespierre, l’incarnation du peuple contre les élites bourgeoises, en montrant que celui qu’on a surnommé « l’archange de la terreur » était finalement plutôt plus mesuré que son maître. Quoi qu’il en soit l’anticommunisme, même primaire, ne peut suffire à excuser les dérives fascisantes de Saint-Just, personnage romanesque au possible qui aurait lui-même tout à gagner à un biographe plus objectif. On s’ennuie beaucoup, on apprend fort peu, ce qui est tout de même extraordinaire s'agissant du récit de la vie d’un type aussi hors du commun à une époque pareille. Peut-être est-ce cette performance que le jury des « douze meilleures œuvres historiques » a voulu saluer.

mardi 3 janvier 2006

Vacances dans le coma, Fréderic Beigbeder, Ile de Ré, 3 janvier 2006

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Expérience intéressante : relire directement un livre de Beigbeder (peu épais) parce qu’on l’a finit trop vite et que l’on n’a rien d’autre à se mettre sous les yeux. Le charme opère à la première lecture, l’irritation monte à la seconde.

Ce deuxième roman met en scène Marc Marronnier, alias FB, et narre l’inauguration d’une boite de nuit méga hype de 7 heures du soir à 7 heures du mat. C’est évidemment et comme il se doit du grand n’importe quoi, à base de name dropping (y compris… Virginie M. !) et de personnages à clé dans une suite plus ou moins réussies de conversations mondaines et d’excès variés (pilules, alcools, SM, défonçage de vitrines, ken, …), avec notamment de beaux discours politiques d’un certain Jean-Georges. Foirade finale, parce qu’il fallait une chute, Marc Marronnier trouve l’amour en cours de soirée (après quelques autres déboires) mais se rend compte au petit matin que sa conquête nocturne n’est autre que sa femme, qu’il a épousé deux ans avant et avec qui il file le parfait amour (qui ne durera malheureusement que trois ans mais il ne le sait pas encore). Ça finit donc par une belle morale bien merdique, digne d’Alexandre Jardin, mais ça permet à l’auteur cette belle dédicace : « Pour Diane B., je suis tombé, la bouche bée. »

Beigbeder est le genre de type à qui on pardonne tout, parce qu’il fait tout pour, notamment ici une « autocritique en guise d’avant-propos », sorte d’excuse liminaire : « Qu’un roman pareil puisse trouver un éditeur en poche de nos jours est inquiétant pour notre société. (…) Non franchement, fuyez ce roman ». Charmant et horripilant, comme toujours.

Nouvelles sous exctasy, Fréderic Beigbeder, Ile de Ré, 3 janvier 2006

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Cette récréation beigbederienne est pour le coup vraiment insignifiante. Les quelques nouvelles publiées ici et là qui forment ce mini recueil se veulent expérimentales et légères, mais c’est d’un intérêt à peu près nul. La plus réussie est celle où un type déprimé décide de se crasher en caisse et on ne comprend qu’à la dernière ligne qu’il s’agit de Monsieur Paul et du tunnel de l’Alma. A part ça, les deux nouvelles où la ponctuation se résume à « : » entre chaque phrase ont pour seul intérêt que l’on ne s’en rend compte, dans les deux cas, qu’au bout d’une quinzaine de phrases. Tout juste divertissant.

La petite bijou, Patrick Modiano, Ile de Ré, 3 janvier 2006

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Première approche de Modiano, peut-être pas avec son meilleur livre mais je suppose qu’ils doivent tous se ressembler assez fortement. Comme son aura l’indique, Modiano c’est avant tout un style. Puriste, maniaque de la simplicité, il construit des phrases courtes à partir d’un vocabulaire limité excluant toute sophistication. La sobriété de l’expression vise une esthétique de la retenue dont on sent qu’elle est obtenue par apurements successifs au fil d’un labeur obsessionnel. Cette intransigeance admirable a dû mieux fonctionner dans d’autres livres, ici elle est surtout pesante.

La petite bijou, 19 ans environ, raconte quelques semaines de sa vie, celles où elle a doublement revécu le traumatisme de son abandon, en gardant une petite fille de Neuilly négligée par ses parents, et en reconnaissant dans le métro, sans l’aborder mais en la suivant jusqu’à son appartement de Vincennes, sa mère qu’elle croyait morte au Maroc. Depuis ses dix ans et son exil à Fossombronne au départ de sa mère, elle avait cessé de vivre, et cette conjonction d’évènements déclenche un vertige dans lequel elle se noie. C’est à ce moment qu’elle pénètre dans une pharmacie, guidée par l’enseigne verte comme un phare, dans une rue noire un dimanche soir. La pharmacienne, sorte d’ange gardien déplacé dans ce roman sombre parce qu’elle n’a aucune réalité, la raccompagne dans sa chambre d’hôtel miteuse vers la place de Clichy (celle-là même que sa mère a occupé une dizaine d’années plus tôt), dort avec elle et revient la voir plus tard, en lui donnant des antidépresseurs. À la dernière page du livre, elle se fait la boîte avec du chocolat et se réveille à l’hosto (sans doute grâce à une nouvelle intervention de la pharmacienne), dans le service des nouveaux-nés prématurés car il n’y a plus de place ailleurs : sa vie peut (re)commencer…

Cette parabole de la deuxième naissance qu’est la sortie de l’enfance est également une bonne illustration du halo hagard de la dépression, la narratrice mêlant une précision de détails (auxquels elle se raccroche), un discours très factuel (comme si elle était incapable de toute analyse) et un flou général. Ce n’est pas très plaisant à lire, parce que l’extrême correction de Modiano doit surtout faire se pâmer les grands-mères et parce que la passivité déprimée de la narratrice est un peu lourde. Et puis la crise est terrible mais sa résolution décevante : cette pharmacienne miraculeuse sort vraiment de nulle part...