vendredi 23 mars 2007

Dans la foule, Laurent Mauvignier, Paris, 23 mars 2007

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Voilà un livre d’une ampleur exceptionnelle, d’une écriture compacte et exigeante mais d’une clarté et d’une constance remarquables. La narration lente tient en haleine, avec des allers et venues entre les personnages et à travers le temps, mais sans jamais perdre le fil du récit qui se conclut par un baiser que tout le reste n’a fait que préparer. Voilà un mec qui semble écrire avec son sang une histoire telle qu’elle s’est déroulée, sans y mêler de fantaisie et sans avoir de prise sur elle. Voilà un mec qui a lâché prise, qui ne tient pas ses personnages par la bride et qui en même temps maîtrise de bout en bout une densité de style extraordinaire. Il s’agit très clairement d’un très grand roman que l’on pourrait relire plusieurs fois sans se lasser et qui contrairement à certains petits chefs d’œuvre fluets, ne peut rien devoir au hasard. Son charme enfin reste mystérieux jusqu’au bout et même après, ce qui explique peut-être le désir de relecture.

Le sujet est pourtant un peu trivial : un match de foot, celui du Heysel en mai 1985, qui opposait Liverpool à la Juventus en finale de la ligue des champions. Il s’agit d’un de mes premiers souvenirs de football télévisé : j’avais négocié de regarder la 1ère mi-temps, mais le match ayant pris une heure de retard à cause des morts, j’en avais été quitte pour aller me coucher sans rien, alors que le soleil brillait encore il me semble. Et plus tard Platini, dans Ma vie comme un match, relatait aussi cette soirée en disant qu’elle l’avait dégoûté du foot. À l’époque de ce livre, je devais avoir 12 ans, je trouvais qu’il en faisait trop et qu’il aurait pu continuer sa carrière, ce fainéant égoïste.

C’est donc l’histoire de Jeff et Tonino, deux branleurs, qui vont à Bruxelles alors qu’ils n’ont pas de billets pour le match, comptant sur leur bonne étoile. Ils la trouvent, en la personne de Gabriel, qui fête son nouveau job avec sa compagne Virginie, et qui les invite à boire un coup pour partager sa joie. Non seulement Jeff et Tonino boivent de bon cœur, mais encore Tonino fait-il du gringue à Virginie pendant que Jeff choure les précieux sésames pour le match que Gabriel détient. Le lendemain en route pour le stade ils font la rencontre de Tana et Francesco, italiens comme Tonino, fraîchement mariés et dont le voyage de noce offert par la famille incluait des places pour la finale. Pendant ce temps on suit en parallèle le voyage de Geoff et ses gros bourrins de grands frères (Doug et Hughie) depuis Liverpool, en compagnie de leurs potes très fins. Gabriel arpente les alentours du stade dans le but de mettre le grappin sur les deux enculés qui ont chouré ses places et surtout dragué sa femme.

Ensuite c’est le drame : Francesco fera partie des quelques 80 morts étouffés, le match se jouera quand même. L’étonnant est qu’on est là au 2/5ème du livre. Le reste c’est comment tous (sauf Geoff) se retrouvent et n’en reviennent pas, comment Jeff dormira avec Tana la première nuit, comment Tana n’e sen remettra pas jusqu’à ce que trois ans plus tard, après le procès, Jeff et Tonino viennent la voir en Italie. Là elle ressuscite progressivement, sous l’œil affolé de Jeff, amoureux au dernier stade mais désespéré de penser que la complicité unique qu’il partage avec Tana est celle de cette nuit à Bruxelles, et en même temps tenté de croire que c’est une complicité qui pré-exsistait au Heysel, causée peut-être par la disparition précoce de leurs pères. Quoi qu’il en soit, Tana finit par embrasser Tonino et Jeff rentre chez sa mère : « en me répétant et en me racontant encore la même histoire sur moi, pauvre de toi, pauvre Jeff, et puis m’écoeurant de mon apitoiement sur ma vie et sur tout ce que je n’aurais donc jamais compris. »

Car le narrateur principal et personnage central est Jeff, et même à la réflexion c’est le seul narrateur, essayant de se mettre à la place de Geoff, de Gabriel et de Tana pour essayer de comprendre cette histoire insensée, et pourquoi il se sent aussi perdu et impuissant, et en même temps admiratif et ému. Magnifique !

lundi 5 mars 2007

L'amour dure trois ans, Frédéric Beigbéder, Paris, 5 mars 2007

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Au cas où je ne m’en souviendrais plus à l’avenir, disons plutôt dans l’hypothèse où ce souvenir funeste se brouille un jour, rappelons ce détail croustillant : C. a fêté la Saint-Valentin 2007 en me lourdant. Pour ce que vaut cette date j’aime autant que ça se soit passé ce jour-là et puis ça me donnera une bonne raison d’en limiter la célébration à l’avenir. Toujours est-il qu’une dizaine de jours plus tard, C. passe chercher ses affaires et me dit avoir beaucoup réfléchi, à moi et à notre couple, notamment en lisant un livre en entier ( !) : L’amour dure trois ans. Je me rappelais l’avoir lu en quelques heures à Argentières, un peu après le nouvel an 2002, sur la fin d’un séjour neigeux au cours duquel je m’étais enfoncé dans le sillage de P. dans une déprime noire, et je me souviens de cette lecture, un matin de soleil, comme d’un moment de bonheur apaisé, alors que presque tout le monde était rentré à Paris et que nous nous apprêtions à en faire autant en début d’après-midi. Mais pour autant et comme il se doit s’agissant d’un roman de Beigbeder, rien ne subsistait de cette lecture à part le souvenir d’un type assis sur un banc devant l’immeuble de sa bien aimée. Peut-être pour partager encore quelque chose avec C., j’entrepris d’acheter ce livre et de le relire.

Et effectivement comme d’habitude c’est plaisant et bien creux. Le seul intérêt me semble résider dans le retournement tardif : on s’énerve contre Beigbeder qui prétend faire l’analyse d’une rupture mais est déjà embringué dans un nouveau couple qui occupe presque plus de place que son divorce, jusqu’au moment où on réalise que c’est bien la longévité de ce nouveau couple qui fait l’objet d’étude et de spéculations. C’est donc l’épilogue, écrit trois ans après la rupture initiale, qui rehausse un peu l’ensemble. Étonnant que Beigbeder n’ait pas songé à re-épiloguer à chaque nouvelle édition soit en 2000, 2003 et 2006, ce serait imparable sur le plan commercial ; cela étant Christine Angot occupe déjà le créneau, en légèrement moins léger.

Donc sa femme Anne décide de divorcer de Marc Marronnier quand elle découvre qu’il la trompe avec Alice. De fait après trois ans de mariage, l’amour convenu et un peu adolescent pour Anne a laissé la place à une passion fougueuse pour Alice. Tout le long du récit, l’auteur tire le fil de sa déprime, rejeté à la fois par sa femme dégoûtée et par sa maîtresse apeurée. Ce n’est que dans l’épilogue que l’on apprend qu’Alice a finalement quitté son Antoine pour emménager avec lui (rue Mazarine, pas moins) il y a tout prés de trois ans. Le livre se conclut par une leçon de vie assez ridicule, qui constitue sans doute l’un des passage les plus honteux de la littérature beigbederienne (il y en a pourtant quelques-uns), mais qui mis en abyme exprime bien la niaiserie amoureuse : « Il faut savoir qui l’on est et qui l’on aime. Il faut être achevé pour vivre une histoire inachevée. » J’espère au moins que ce n’est pas ce chapitre qui a touché C..

Qu’est-ce qui a bien pu lui parler de nous là-dedans ? S’il n’y avait pas l’épilogue, la seule solution possible serait la tromperie, l’essentiel du bouquin relatant la double vie de Beigbeder. Je ne crois pas que ce soit le cas, et puis il y a l’épilogue. Mais je ne vois pas non plus en quoi l’épilogue, qui certes déplace le centre de gravité du bouquin, lui parlerait de nous. Alors je n’y comprends rien, mais je sens bien que c’est parce que je ne veux pas voir. Ça viendra. J’ai bien peur que ce ne soit tout simplement les scènes de désamour entre l’auteur et sa femme qui ne lui aient rappelé des souvenirs.

samedi 3 mars 2007

Rose de pierre, Anne Bragance, Paris, 3 mars 2007

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À l’opposé de La chambre des officiers, le niveau littéraire de ce petit livre écrit à la 1ère personne est en complet décalage avec les 13 ans, même éclairés, de la narratrice. Pas que ce soit merveilleusement écrit en plus, tout juste pas mal, si bien qu’Anne Bragance semble prétendre abusivement, planquée derrière son personnage de petite fille, à la virtuosité littéraire. Le récit, desservi donc par un niveau de langue inadéquat, est lui-même très inégal, extrêmement dur dans les parties intéressantes, molasson cul-cul façon comptine dans les passages ennuyeux.

Rose T. est blonde, grosse et dévorée par un psoriasis récurrent. Elle subit les foudres de sa mère acariâtre, qu’elle dénomme Madame T., pied-noir raciste abandonnée par son mari et qui croît avoir tout sacrifié pour sa fille. Pour ne rien arranger, Madame T. est aussi son professeur principal et la flique à mort. Rose a rencontré sa seule amie, Souade, au basket quelques mois avant le drame. Elle trouve enfin de l’amour et de la tendresse chez cette amie et sa famille, mais sa mère décide, lorsqu’elle s’en rend compte, d’envoyer Rose en pension loin de Vénissieux, à Valence, dès le lundi suivant. Au cours d’une expédition photographique sur le toit de la tour de Souade, évacuée pour procéder à sa destruction (longues platitudes sur la violence du déracinement pour les habitants de ces tours), Rose pousse Souade dans le vide et la tue. Le juge n’arrive à lui arracher quelques mots qu’au bout de huit semaines, et le livre se conclut par sa question : « Est-ce que les morts nous pardonnent, Monsieur le juge, est-ce que les morts nous aiment ? ».

Voici mon interprétation personnelle, d’une subtilité psychologique pas piquée des vers : écartelée entre l’amour de sa mère et l’amour de Souade, Rose T. avait cru entrevoir une porte de sortie en accomplissant la séparation exigée de la première, en figeant la seconde dans sa soif d’absolu (« si je tombe, je m’envolerais vers l’Algérie ») et en gardant prés d’elle, dans la mort, son amie, sa seule amie… Pas mal donc, mais les fils sont gros et le ton moral pas très fin.