mardi 11 mai 2004

Manhattan transfer, John Dos Passos, Paris, 11 mai 2004

-
Clairement un chef d’œuvre, un truc dense, superbement écrit, composé de 1000 nouvelles enchaînées chronologiquement sur les trente premières années du 20ème siècle, où une quantité éblouissante de personnages se croisent et s’entremêlent dans Manhattan. Impossible à suivre complètement, sans queue ni tête, même si on devine intuitivement une construction superbe et machiavélique où chaque personne occupe une place et signifie quelque chose, des histoires, parfois quelques lignes, qui se suffisent à elles-mêmes tellement l’évocation est puissante.

Le tableau est sombre : tous sont maudits. D’Ellen, ou Elaine, ou Ellie, femme fatale dégoûtée d’elle-même et du venin qu’elle distille, à Jimmy Herf, superbe de gentillesse, de tendresse et d’incertitudes, qui ne sait pas ce qu’il cherche mais sent bien que ça lui échappe, ou James Merivale, pauvre fils à maman dépeint avec une subtilité touchante, ou encore Joe Harland, qui n’en finit pas de descendre mais reste beau sans être digne, et George Baldwin, avocat dépressif chronique mais conquérant, symbole de réussite sociale et de faillite personnelle, puis Stan Emery, miroir d’Ellen qui en sera irrémédiablement amoureuse et ancêtre de Dean Moriarty, et encore sans doute une centaine d’autres.

C’est la ville, ça grouille, c’est sale et chacun suit sa pente sans avoir le moyen de se soucier des autres mais tout en s’étonnant d’en être aussi bouleversé, comme Ellen quand elle sort du tailleur où Ana Cohen vient de se faire défigurer par brûlure : « Pourquoi suis-je si bouleversée ? se demanda t-elle. Juste la guigne de certaines personnes… Ça arrive tous les jours ces choses-là. ». Saturations d’odeurs enfin, qui sont autant de souvenirs : « Cornichons, piment, écorces de melon répandent en vrilles tordues et froides un parfum humide et poivré qui s’élève comme un jardin de primeurs, parmi les odeurs musquées de lits, et le vacarme rance de la rue pavée qui s’éveille. »

Aucun commentaire: