samedi 13 mars 2004

Les Mémoires d’outre-tombe, tome II, Chateaubriand, Verbier, 13 mars 2004

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Fini ce jour le deuxième tome des Mémoires d’Outre-tombe, de Chateaubriand (il y en a quatre au total). J’avais récupéré les deux premiers tomes parmi les livres laissés par mon grand-père René, avec une autre excellente trouvaille bien plus digeste : la vie devant soi de Romain Gary / Emile Ajar.

J’aurais aimé disserter de Chateaubriand avec mon Bon Papa : s’il l’avait lu à mon avis il était fan. Chateaubriand est parfois énervant de bigoterie, mais il a un sens de l’honneur et de la grandeur indéniable, qui me font penser à mon grand-père. Tous deux partagent cette ambiguïté entre fidélité inébranlable à leur idéologie (christianisme et monarchisme pour Chateaubriand, pétainisme teinté d’un fatalisme à mi-chemin entre le bouddhisme et le fascisme, aussi curieux que ça puisse paraître, s’agissant de mon extraordinaire grand-père), et ferme volonté de ne pas se raconter d’histoires, de juger en profondeur et en équilibre en respectant la réalité et sa complexité. Le jugement de Chateaubriand sur Napoléon est à cet égard caractéristique et éminemment important dans l’ouvrage puisque toute la 1ère partie de la « carrière politique » de l’auteur y est consacrée (soit la moitié du tome II) : la biographie de Napoléon par Chateaubriand ressemble parfois au réquisitoire d’un procureur au tribunal de l’histoire (Article du Mercure de 1807 : « … l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples »). La partialité du résumé choque par endroits, en particulier lorsqu’elle se conjugue avec un style ampoulé (« épique » dit pudiquement le préfacier de cette édition) et un agenouillement systématique devant tout ce qui a un peu de sang bleu ou un rapport quelconque avec le Pape. Malgré tout le jugement d’ensemble apparaît fort juste : on sent la colère de Chateaubriand contre les crimes de l’Empereur, mais il crie également au génie, un génie froid au bilan calamiteux, du moins tel qu’on pouvait le percevoir en 1815. Au moins la grandeur de Bonaparte ne fait-elle aucun doute, et Chateaubriand lui en est d’autant plus reconnaissant qu’il est ulcéré par la petitesse, fort répandue à cette époque troublée : « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux. »

Chateaubriand a des airs de spectateur engagé à la Aron même s’il a eu plus d’activités : se rêvant explorateur, il part à la découverte de l’Amérique du Nord autour de ses vingt ans, revient après le début de la Révolution puis s’exile en Belgique et s’engage dans l’armée de Condé, ce qu’il dénomme pompeusement sa « carrière militaire ». Celle-ci tourne court et il s’exile alors plus chichement, longuement et littérairement en Angleterre, revient sous l’Empire qu’il sert à Rome avant de démissionner en 1804 après l’exécution du Duc d’Enghien. Il devient alors opposant à Napoléon. Le génie du christianisme (1802) avait eu un grand retentissement et propulsé Chateaubriand sur le devant de la scène, ce qui lui permet de revendiquer la réhabilitation du christianisme, bien amoché par le Siècle des philosophes. Encore faut-il observer que ce succès entrait dans les plans de Napoléon qui préparait le Concordat et était donc content de mettre Chateaubriand à son service.

Ce pavé fort instructif tombe parfois des mains, malgré des fulgurances soutenues par une culture classique incroyablement riche, par exemple cette citation de Tibulle (Elégies, I, vers 45-46) : « quam iuvat immites ventos audire cubantem », quel plaisir d’entendre les vents sauvages, tandis qu’on est au lit (et de presser tendrement sa maîtresse sur son cœur). Autre citation célébrissime : « Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché. »

Sur la démarche des mémoires, Chateaubriand précise dès l’introduction qu’il ne dira pas une vérité exhaustive et qu’il taira ses turpitudes, avançant que déballer ses errements personnels ne serait d’aucun intérêt. Il semble cependant que ce si bon chrétien ait régulièrement vécu dans le pêché et se soit trouvé être un grand amoureux...

La lecture des tomes III et IV dépendra de leur sommaire. Il est possible que l’âge avançant Chateaubriand devienne insupportablement acariâtre, mais son récit de la Restauration doit être délectable…

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