mardi 17 mai 2005

Vies minuscules, Pierre Michon, Paris, 17 mai 2005

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Voilà un livre bien étrange et inclassable, une lecture laborieuse mais souvent éblouissante, dont le seul titre (et peut-être aussi mes endormissements répétés à son contact) a intrigué C. au point qu’elle l’a ouvert pour en lire quelques phrases.

Pierre Michon fait le récit de son enfance au travers de biographies d’ancêtres plus ou moins supposés, d’amantes, de personnes croisées, et de sa grande sœur morte en bas âge. Il présente ainsi ses origines modestes et paysannes, source de ses deux moteurs qui sont la honte et la pitié, ses errances alcooliques et psychotropes, son désespoir d’écrire un jour l’œuvre définitive et mégalomane à laquelle il se sent appelé, et sa ruine écrite d’avance. Il se présente comme le dernier d’une lignée de déchéance et il veut célébrer ceux qui l’ont précédé, comme pour s’excuser de ne pas leur donner suite.

C’est donc un bouquin totalement dépressif et désespéré, triste et nostalgique, haineux de soi-même. Pierre Michon ne se souhaite à personne et s’accuse de s’être piégé lui-même, le jour où il a découvert Arthur Rimbaud. C’est dur mais ça fait souvent mouche, l’impression de justesse étant renforcée et complétée par la poésie du style, d’une richesse baroque dans une rigueur classique. Vraiment étonnant, rébarbatif et admirable. Je ne me souviens pas d’avoir lu un livre avec autant de mots inconnus, incoonnus et beaux et dont on devine le sens, ou des mots déjà croisés mais utilisés pour leur vrai sens profond, comme « vergogne », toujours précédé de « sans ». Ici les morts finissent par se taire, « de vergogne ». Les mots, utilisés chacun pour eux-mêmes et sortis des lieux communs, retrouvent leur sens. Chaque phrase a dû demander des jours ; beaucoup demandent à être lues et relues afin d’identifier le sujet et le verbe, souvent inversés, souvent noyés dans un flot inarrêtable d’énumérations descriptives.

J’ai lu sur internet qu’écrire ce livre avait enfin apaisé Pierre Michon. Il a pu ensuite commencer une nouvelle existence plus sereine, il écrit et il a même un enfant. Happy end.

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