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Ce Saint-Just en deux tomes fait partie des « douze meilleures œuvres historiques », élues dans les années 60 par un jury illustre où figurait André Maurois. Je l'ai récupéré dans la bibliothèque de mon grand-père avec l'essentiel de cette collection visiblement commandée par correspondance à des fins décoratives et jamais ouverte. Et décorative elle risque de le rester à en juger par cette première incursion sur un sujet pourtant appétissant : le récit ennuyeux et désordonné proposé par Albert Ollivier traite au moins autant des intrigues durant la Révolution que de Saint-Just lui-même, en étalant une partialité très surprenante.
L’objectif de ce livre à thèse est manifestement de récupérer Saint-Just, de le « justifier » en invoquant la « force des choses », comme le montre les dernières lignes de l’ouvrage : « Il est peut-être excessif de dire : Il n’y a pas de grands hommes, il n’y a que de grands conflits. Mais il est vrai que la valeur d’un homme tient à sa manière d’éprouver, d’exprimer un grand conflit et d’y répondre. Et cela, Saint-Just, en dépit de quelques erreurs, de quelques faiblesses, a su le faire avec courage et lucidité ». Mais paradoxalement, en dépit de tous les dénis, de toutes les excuses que trouve l’auteur à sa conduite, Saint-Just apparaît quand même dans toute sa cruauté, son intransigeance et son totalitarisme.
Extrêmement jeune, il n’a pu prendre part à la Révolution qu’à partir de 1791 car il fallait avoir 21 ans pour être éligible. Il ronge donc son frein lors des premiers évènements en écrivant des lettres enflammées à Robespierre, un poème orgiaque (Organt) et un ouvrage politique (L’esprit de la Révolution et la Constitution de France) qui eût du succès à Paris. Féru d’histoire romaine, Saint-Just privilégie les questions institutionnelles, dans lesquelles il place la clé des comportements vertueux et s’intéresse aussi à l’économie et aux finances. S’il n’a jamais été grand orateur et manquait de répartie, il s’est rapidement imposé à l’Assemblée par ses discours, à la fois idéaliste et ne reculant pas devant le passage à l’acte. Il semble ainsi avoir grandement contribué à la rédaction de la Constitution de 1793. Envoyé à Strasbourg auprès des armées comme représentant du Comité de salut public, il se distingue par son énergie, sa bravoure, et remporte de grandes victoires notamment à Fleurus. À partir de 1795, il se démarque de Robespierre et tente de se poser en recours dans le conflit opposant Robespierre à la Montagne. Il sera finalement emporté avec lui le 9 thermidor et se laissera guillotiner sans combattre, usé et dépressif, à 25 ans.
Albert Ollivier, résistant, gaulliste, fondateur de Combat et historien de la Révolution, excuse grossièrement et à tout propos les outrances et les pétages de câbles de son héros, qui invente de toutes pièces des complots royalistes pour liquider ses opposants, voit dans la terreur et l’épuration les seuls moyens d’imposer le bien commun et dont l’esprit de système n’est jamais ébranlé par le doute. On comprend mal qu’un fervent gaulliste, moins d’une dizaine d’années après la disparition d’Hitler, se lance dans une telle entreprise de réhabilitation, manifestement idéologique. Peut-être cherche t-il à taper sur Robespierre, l’incarnation du peuple contre les élites bourgeoises, en montrant que celui qu’on a surnommé « l’archange de la terreur » était finalement plutôt plus mesuré que son maître. Quoi qu’il en soit l’anticommunisme, même primaire, ne peut suffire à excuser les dérives fascisantes de Saint-Just, personnage romanesque au possible qui aurait lui-même tout à gagner à un biographe plus objectif. On s’ennuie beaucoup, on apprend fort peu, ce qui est tout de même extraordinaire s'agissant du récit de la vie d’un type aussi hors du commun à une époque pareille. Peut-être est-ce cette performance que le jury des « douze meilleures œuvres historiques » a voulu saluer.
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