lundi 13 février 2006

René ou la vie de Chateaubriand, André Maurois, Paris, 13 février 2006

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Ayant rouvert l’histoire de France d’André Maurois à l’occasion du Saint-Just d’Albert Ollivier afin d’y trouver des repères plus objectifs sur le parcours de l’Archange de la Terreur et les majorités successives de la Convention, je me suis laissé entraîner jusqu’en 1848 avec un détour par François 1er. De fait je suis une nouvelle fois tombé en arrêt devant le brio, la précision et la simplicité de ce génie méconnu et me suis rappelé le vieux projet de dénicher son histoire d’Angleterre jusqu’ici introuvable. Celle-ci me fut livrée à domicile sous huit jours par la magie de l’internet, assortie d’une biographie de Chateaubriand et de Climats, glanés au passage.

Je n’ai lu de Chateaubriand que les deux premiers tomes des Mémoires d’outre-tombe et il semble que les deux suivants soient encore meilleurs. Son seul autre livre vraiment remarquable est d’après Maurois la Vie de Rancé, écrit également à la toute fin de sa vie. Tous ses autres livres sont inégaux, le génie du style ne compensant pas le caractère très daté des thèmes.

Maurois dépeint Chateaubriand comme un être en conflit qui trouve son unité en s’inventant un personnage public (le défenseur des Bourbons et du christianisme) et qui fait des choix (politiques en particulier) en fonction de la pose que cela lui permettra de se regarder prendre. Dès qu’il commence à publier, il est reconnu comme un génie littéraire et une conscience morale. Il passera son temps à osciller entre participation à la vie politique dans la diplomatie, à la chambre des Pairs ou en dirigeant des journaux, et replis sur soi. Il a notamment deux démissions à son actif, la première après l’assassinat du Duc d’Enghien, la seconde à la nomination de Polignac par Charles X. Il se plonge lors de ses éloignements de la vie publique dans la littérature et les femmes. Car le plus étonnant dans cette biographie est la place démesurée prise par les emballements successifs de Chateaubriand pour un nombre incalculable de maîtresses. Incapable de constance et de fidélité en amour (à l’exception, à la fidélité près, de sa relation de trente ans et jusqu’au tombeau avec Mme Récamier, qui était devenue une amitié passionnée), il a mis en œuvre une débauche d’énergie prodigieuse dans ses conquêtes amoureuses, sans jamais y trouver de satisfactions durables, et sans jamais non plus se départir de sa femme acariâtre, vis-à-vis de laquelle il ne moufetait pas car il ne supportait pas les querelles ménagères.

Il faut toute la finesse stylistique et psychologique de Maurois pour rendre compte sans lourdeur des atermoiements amoureux et littéraires de Chateaubriand, à la fois autocentré (au point qu’il n’ait jamais songé semble t-il à avoir une descendance) et aspiré par l’universel, croyant et bien pensant mais jamais soucieux d’assurer son salut par ses mœurs, affecté au possible mais plein de grandeur.

Mais comme pour la vie de Disraeli, le génie de Maurois me semble un peu à l’étroit dans le récit d’une seule vie, aussi riche soit-elle. Je continue de le préférer en biographe de peuple, et du peuple français en particulier. Que son histoire de France n’existe plus, même sur les librairies en ligne, est totalement désolant et me la rend encore plus précieuse.

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