vendredi 26 mai 2006

Corps du roi, Pierre Michon, train Nantes-Paris, 26 mai 2006

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Pierre Michon est décidément un double de P. (ou plutôt l’inverse). Ce court récit, cadeau de ce même P. en retour de Vies minuscules que je lui avais offert parce qu’il me semblait décrire son quotidien et ses affres, se termine par une main au cul de l’auteur à une serveuse, le jour de sa victoire sur Booz endormi. Le sortilège de ce poème qu’il a lu publiquement à de multiples reprises cesse enfin de faire effet sur lui ce qui ne l’empêche pas de le lire toujours aussi bien. Dans le caniveau, mis dehors et molesté par trois gros bras, il s’endort repu tel Booz endormi après une journée de moisson. Seul P. conjugue comme Michon cette élégance et cette trivialité, sur fond de mégalomanie autocentrée mais dédaigneuse de soi-même.

Les cinq textes de Corps du roi parlent d’écriture : le premier décrit une photo de Beckett, roi de la littérature dont il prolonge la dynastie initiée par Shakespeare, Joyce, Bruno, Dante et Vico, mais aussi simple Samuel Beckett (d’où les deux corps du roi). Le deuxième accuse Flaubert d’avoir le premier pris la littérature au sérieux, partant à la recherche du sublime au point de sacrifier les plaisirs quotidiens et entraînant à sa suite une foule mystique désireuse de ne pas vivre ou d’avoir une vie d’arbre, à la recherche du sublime, du livre absolu (d’où le titre de « corps de bois », où l’on songe à Bernardo Soares). Le troisième est vraiment obscur ou simplement simple, sur un extrait de traité de chasse d’un auteur arabe du moyen âge, décrivant les mouvements de l’aigle Gerfaut dans lequel Michon décèle la figure de la mort. Le quatrième texte est une description d’une photo de Faulkner « qui a vu l’éléphant », c’est-à-dire normalement la guerre, mais pour Faulkner ce sera plutôt l’écrasement par l’aïeul au destin trop large et inégalable, ce qui le pousse à abuser de la gnôle. Le cinquième enfin relate un certain nombre de récitations par l’auteur de Booz endormi à voix haute et sa victoire finale sur ce poème. Ce dernier texte plus personnel nous permet de prendre des nouvelles, qui ont l’air plutôt bonnes, de l’auteur : une paternité tardive dont il est très fier (plus que de sa fille elle-même on dirait), de nombreux amis écrivains et pochetrons et une certaine sérénité (comparée au désespoir de Vies minuscules) qui n’exclut pas l’âpreté.

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