samedi 5 janvier 2008

Maîtres et serviteurs, Pierre Michon, Paris, 5 janvier 2008

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Trois courtes biographies de peintres illustrent une réflexion rêveuse de Pierre Michon sur la grâce et la disgrâce, sur le petit nombre d’élus détenteurs du vrai talent et les autres, les laborieux. La langue de Michon est toujours aussi majestueuse et particulière mais le propos est mystérieux, à l’instar de l’intitulé des chapitres.

Le premier, « Dieu ne finit pas », est une méditation sur la vie de Goya, petit homme médiocre et attentif à le demeurer, et pourtant immense artiste, centrée sur l’amour du peintre pour Pepa, sa femme, qu’il épousa semble t-il au moins en partie pour ses frères, peintres introduits à la cour et susceptibles de lui procurer des entrées, mais peut-être aussi pour la tranquillité qu’elle lui apportait.

Alors que Goya est cité à la première phrase du premier chapitre, Watteau, auquel est consacré le deuxième, « Je veux me divertir », n’est nommé qu’au dernier paragraphe, sans doute pour la devinette. C’est cette fois un vieux curé qui témoigne de ses quelques rencontres avec Watteau, fasciné par son désir de posséder toutes les femmes, par son dépit de cette impossibilité et par la traduction de cette impossibilité en peintures. Peu avant de mourir, Watteau demande au curé, qui s’exécute à contrecœur, de brûler ses toiles de possession, peut-être pour ne pas en être dépossédé dans la mort.

Le troisième et dernier chapitre, « Fie-toi à ce signe », concerne un serviteur, et non un maître : c’est l’histoire de Lorentino, disciple de Piero della Francesca, peu à peu désillusionné sur son propre talent. La hiérarchie fatale des talents apparaît comme une vérité initiale et intangible mais progressivement et cruellement révélée : tout en haut Piero della Francesca, maître intouchable et bon, auquel même aveugle Lorentino amène son fils, ensuite les autres disciples comparses de Lorentino, aux carrières honorables, ensuite Lorentino, auquel n’échoit que quelques chutes de commandes, enfin Bartolomeo, le disciple de Lorentino, à peine plus qu’un paysan. Lorentino a pourtant en lui la matière d’un chef d’œuvre, et sera à son tour, mais furtivement, un maître : une commande particulière lui fut adressée par un paysan qui la paya au moyen d’un cochon. La peinture de Saint-Martin qui en résulta fut un incontestable chef d’œuvre, peut-être le seul de Lorentino. Placée dans une église, quelques-uns l’admirèrent puis le temps fit son œuvre et la toile redevint peu à peu poussière, Lorentino fut oublié.

« Diosa le regarda particulièrement pendant tout le temps qu’il peignit ce tableau ; car il avait en toute chose la main que jadis il avait porté sur elle, mais elle ne savait pas sur quoi il la portait. Elle se dit que peut-être elle aurait des robes, ou plutôt Angioletta maintenant.

Et Bartolomeo avait bien un maître. Le disciple vit travailler un maître, entre le mercredi des cendres et Pâques. On ne sait pas ce qu’il en fit, peut-être un chef d’œuvre lui aussi vers sa soixantième année, peut-être rien. »

Qui sont les maîtres, qui sont les serviteurs ? Qu’est-ce qui fait un grand peintre ? Pierre Michon lui-même se considère t-il comme maître ou serviteur ? J’ai le sentiment qu’il se pose ces questions sans intention d’y répondre, davantage pour le prétexte d’un thème ou d’une problématique unifiant quelques biographies poétiques.

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