vendredi 5 septembre 2008

Le Dahlia noir, James Ellroy, train La Rochelle – Paris, 5 septembre 2008

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Captivantes et bouleversantes de la première ligne de la préface (« vivante, je ne l’ai jamais connue, des choses de sa vie je n’ai rien partagé ») à la dernière phrase de la postface, ajoutée en 2006 à l’occasion de l’adaptation cinématographique de De Palma, ce sont vraiment comme l’annonce la dédicace à sa mère, des « pages d’adieu aux lettres de sang ».

L’enquête de l’agent du LAPD Bucky Bleichert sur le meurtre de Betty Short à Los Angeles en janvier 47 transfigure celle de James Ellroy sur le viol et le meurtre non élucidés de sa mère Jean Hilliker Ellroy, à LA en 58, qu’Ellroy annonce n’avoir pas pu attaquer de front à cause de ses pulsions incestueuses. Il avait 10 ans en 1958 et était troublé par la sensualité de sa mère divorcée, qu’il avait surpris au lit avec d’autres hommes et dont la discipline stricte contrastait avec la permissivité paternelle pour lui donner le rôle de méchant / désiré du couple parental.

L’histoire commence avec la formation de la paire Bucky Bleichert / Lee Blanchard, deux policiers anciens boxeurs que des huiles ont l’idée de réunir dans un combat pour faire remonter la cote du LAPD et obtenir une hausse du budget lors d’un référendum local qui a lieu juste après. Le retentissement populaire du combat permet le succès du référendum et malgré sa défaite, Bucky obtient une promotion inespérée : d’îlotier il devient inspecteur en tandem avec Blanchard. Les deux collègues deviennent instantanément les meilleurs amis et forment avec Kay, la compagne platonique de Blanchard, une triade inséparable qui nage dans le bonheur. C’est alors que survient le meurtre de Betty Short, 22 ans, retrouvée coupée en deux, les seins charcutés et un sourire élargi au rasoir, sur un terrain vague à l’angle de la 39ème et Norton.

Suit alors le récit circonstancié de deux ans et demi d’une enquête très politique (le vice procureur Loew veut se servir de l’affaire comme tremplin pour sa candidature républicaine aux prochaines élections ; au départ plus de 100 hommes sont mobilisés sur l’affaire) et aux multiples chausses trappes, qui provoqueront notamment la fuite au Mexique de Lee et son assassinat, suivi du mariage de Kay et Bucky, puis la radiation de Bucky du LAPD, ce qui ne l’empêche pas de remonter la piste de la famille Sprague qui a causé la perte de Betty Short.

L’intrigue elle-même est sans doute un peu alambiquée, peut-être pas pour ce qui concerne Madeleine / Emett Sprague mais plutôt pour ce qui relève de Ramona Sprague, qui s’avère finalement la meurtrière dans un énième retournement dont on peut se demander s’il était bien nécessaire (en même temps, peut-être le fait qu’une incarnation de mère soit à son tour bourreau est-il très signifiant venant d’Ellroy ?). Mais l’enquête dans son ensemble est fascinante dans sa densité et la multiplicité de ses ressorts : politique, psychologie, choix de carrière, affinités et détestations entre les enquêteurs, jeux de séduction et d'intimidation avec les témoins et les suspects, effets médiatiques avec toute une floppée de de tarés qui se dénoncent en espérant un instant de célébrité (et on est qu’en 1947 !), relation amoureuse enfin et surtout puisque c’est avant tout l’histoire de la rencontre posthume de Bucky et Betty. L’enquête révèle rapidement une coureuse à moitié cinglée, qui tapinait occasionnellement en attendant son heure de gloire en tant qu’actrice à Hollywood. Mais pour Bucky c’est surtout une fille bonne et naïve qui cherchait l’amour avec obstination.

D’une écriture magnifique d’âpreté, extraordinairement traduite avec beaucoup d’argot innovant mais la plupart du temps compréhensible (« sans charre », michés et talbins sont légions), la narration est cinématographique (beaucoup de scènes d’action, de pifs et de pafs) et regorge de fesses et de violence, avec des passages à la limite du soutenable sur Betty Short mais aussi sur d’autres épisodes du quotidien sordide des flics du LAPD.

La morale de l’histoire semble tenir pour Ellroy dans le « Cherchez la femme » de Blanchard à Bleichert mais je ne suis pas sûr de bien saisir. Peut-être en parlerai-je à E. qui m’a offert ce livre qui semble compter beaucoup à ses yeux. Enfin l’enthousiasme d’Ellroy dans la postface pour l’adaptation cinématographique globalement ratée (même si c’était une gageure et si certains passages sont magnifiques) réveille une accusation de putasserie, peut-être en lien avec le caractère thérapeutique du livre, ou peut-être simplement mercantile : on est clairement dans l’autopromotion, un peu semble t-il comme à la sortie du livre, où Ellroy confesse tout seul qu’il a tout axé sur le parallèle Betty Short / Jean Ellroy. L’auteur comme le lecteur se retrouvent sur une corde raide fascinante, à fictionner sur du matériel humain à ce point intime et tragique, et à utiliser sans retenue ce ressort pour accroître la tension dramatique.

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