mardi 15 août 2006

Histoires de peintures, Daniel Arasse, train Avignon-Paris, 15 août 2006

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Transcription de 25 émissions radiodiffusées sur France Culture en 2003 et élaborées par un historien de l’art mort depuis, cette édition de poche est fort utilement agrémentée d’une cinquantaine de reproductions en couleur de l’essentiel des toiles évoquées dans l’ouvrage. Quelle frustration pour les auditeurs de l’émission que d’avoir dû se passer des images dont il est question ! Le texte est en effet assez pauvre et rébarbatif s’agissant d’un discours retranscrit, et l’essentiel du plaisir réside dans la contemplation ludique des œuvres reproduites à partir des pistes de réflexion de l’historien de l’art.

Ses descriptions et démonstrations sont souvent fragiles voire oiseuses, mais elles sont aussi très souvent évidentes, manifestes, et n’avaient pour autant pas été relevées par mon œil inaverti. Il s’agit en quelque sorte d’une leçon de regardage. Par exemple la Joconde, un des tout premiers portraits souriants, fut commandée par Francesco Del Gioconda mais jamais livrée car Léonard avait pris trop de liberté : le sourire est inconvenant, l’épilation des sourcils et d’une partie des cheveux est l’apanage des femmes de petite vertu, et le paysage derrière Mona Lisa est chaotique et incohérent. À droite de sa tête de hautes montagnes, à gauche un lac et une plaine, sans jonction entre les deux, autre que le sourire de Mona Lisa qui permet de passer du chaos à la grâce mais pour un moment éphémère, ce qui est le propre du sourire. Arasse rapproche ainsi la Joconde des Métamorphoses d’Ovide et son « Cueillez dès aujourd’hui » à l’adresse d’Hélène.

Autre « délire » non dénué d’intérêt : le Verrou de Fragonard, un couple à droite du tableau, « rien » à gauche sauf un lit défait avec des tentures aux formes très suggestives. À chacun de décider d’y voir ou non des représentations coquines, à chacun de faire sauter ou pas le verrou. Il y a aussi l’Olympia de Manet et la Vénus d’Urbin de Titien qui sont comparées avec beaucoup moins d’allant que Bourdieu ne le faisait au Collège de France lors de son cours sur la parodie dans la révolution (merveilleux souvenir, c’est comme si j’avais vu Bergson en 1910). Arasse évoque également les Menines de Velasquez, où le sujet de la toile (le couple royal) est dans un miroir tout petit au fond de la salle, et compare de façon passionnante une dizaine d’Annonciations du 15ème siècle, dans lesquelles l’invention toute récente de la perspective (que l’auteur rapproche d’un infini, celui de la ligne de fuite, désormais dans l’univers et non plus en dehors…) permet à chaque fois de faire croire que Gabriel et Marie se font face, alors qu’en fait une colonne les sépare, représentant le christ déjà là (puisque annoncé) mais pas encore visible.

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