mardi 17 août 2004

Demande à la poussière, John Fante, Paris, 17 août 2004

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Une bombe absolue, pas seulement un chef d’œuvre, une magie qui opère. Tout est réussi, même la couverture de l’édition de poche est superbe. Court, ramassé, mais plein, avec un style « qui remue la chair et passe prés de l’os » (de mémoire).

Arturo Bandini, double de John Fante, fils d’immigrés italiens installés au Colorado, débarque à Los Angeles avec les quelques dollars de sa première nouvelle publiée et prend une chambre d’hôtel pour travailler à devenir un grand écrivain. Il n’a pas une thune et ne connaît quasiment personne, se rattrape par les couilles à chaque fois qu’il n’a vraiment plus rien et qu’il est à deux doigts de s’en retourner dans son Colorado en recevant les subsides d’Hackmuth, son éditeur adoré. Et aussi il est puceau et pas trop dégourdi avec les gonzesses. Un soir Camilla Lopez lui sert un mauvais café, payé avec sa dernière pièce. Il agresse la serveuse avec la dernière méchanceté et en tombe ce faisant définitivement amoureux. Comme la méchanceté est un piège à gonzesses, elle lui donne sa chance sur la plage peu après, mais il ne peut la saisir car il ne remet pas la main sur sa « passion ». De là succession de chassés croisés amoureux, Camilla étant masochistement amoureuse de Sammy le barman, un affreux salaud qui finira par la suicider dans le désert. Et pendant ce temps-là, Arturo devient effectivement grand écrivain.

Arturo Bandini est trop cool, fier, généreux, méchant, maladroit, réellement bourré de talent littéraire, mégalo complexé et libre, heureux, sachant kiffer, exigeant avec lui-même mais sans s’accabler. Et Camilla est la beauté même, d’une gentillesse totale et en même temps dangereuse. Elle fait son malheur avec application en s’entichant d’un enfoiré qui la rejette. Peut-être juste une question d’adéquation sexuelle ? Sammy matche et pas Arturo ?

Tout simple et puissant : deux personnages et demi, trois avec la figure de l’éditeur, trois et demi avec Hellfrick, sa gnole et ses steaks coupés à même la vache, et ça coule de source, ça tient debout tout seul, ça existe.

Je me demande pourquoi je kiffe tellement cette littérature américaine de la 1ère moitié du 20ème siècle (Fitzgerald, Capote, Dos Passos, Salinger…), peut-être parce qu’il y a de la finesse mais pas de second degré, de l’humour mais pas d’effet comique, de la tendresse mais pas de complaisance, de la hargne, de la rage, de la classe. Et je me demande, aussi, pourquoi les figures de femmes belles, intelligentes et merveilleusement sensibles qui s’acharnent à construire leur propre ruine m’émeuvent à ce point (comme Jenny dans Forrest Gump).

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